Quand la patrie est à genoux

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03-06-2019 / Triboland.com

Il y a plus d’un bicentenaire, Haïti incarnait la grandeur. Une grandeur contagieuse qui inspirait respect et inspiration. Elle a catalysé la libération de nombreux peuples. Rappeler ce que fut Haïti n’alimente pas l’affirmation « c’était mieux avant ». C’est plutôt un constat d’échec. Un échec collectif marqué par le recul de notre souveraineté. Ce pays qui fut naguère l’exemple à suivre devient, en l’espace de quelques décennies, un repoussoir. Nous sommes devenus le contraire de nous-même. Nous sommes par conséquent bardés d’indigence et de déshonneur. Nous élevons l’étranger au rang de seigneur sans avoir la décence de se rappeler qu’il a été historiquement les premiers obstacles à notre émancipation en tant que peuple et à notre indépendance en tant nation. Il se plaît à nous enfoncer dans le chaos alors que nous leur égrenons sans répit des chapelets de louange et leur déroulons des tapis rouges quand il foule notre sol.

Ces multiples incohérences accentuent la misère du peuple haïtien qui, désormais, est du lot de ses supplices. Ces deux dernières années, la pauvreté atteint son point culminant comme en témoignent les évènements de juillet, d’octobre, de novembre 2018 et de février 2019. Nous voguons donc en eau trouble. Le pouvoir d’achat des ménages continue de flancher. Les politiques publiques ne servent que les ambitions des décideurs tandis que plus de 2.6 millions d’âmes végètent dans l’insécurité alimentaire. La population est aux abois. Elle peine à satisfaire ses besoins fondamentaux en raison d’une gestion de la Chose publique ponctuée de largesse et de fonctionnement onéreux. Or, la conjoncture fait appel à des actions susceptibles d’enrayer le dénuement ambiant. En ces temps de crise aigüe, tout gouvernement à qui la charge de la destinée nationale est confiée devrait pleinement assumer sa responsabilité au lieu de chercher des boucs émissaires. Au contraire ! Le président n’a toujours pas conscience que le peuple s’insurge contre la mauvaise gouvernance, la corruption et une faim sans précédent qui gangrène le pays. Plus les jours passent, plus le premier mandataire de la Nation expose à la face du monde une présidence en agonie qui s’enlise dans l’amateurisme. L’arrogance, la fourberie et des actions antipatriotiques restent et demeurent le fonds de commerce d’une administration qui se cherche encore. Jusqu’à aujourd’hui aucune disposition n’est prise pour engluer la situation humanitaire dégradante qui taraude le pays. Les problèmes d’inflation, de déficit budgétaire, de gabegies, de décote de la gourde, d’insécurité physique restent entiers. Au creux de ce chaos sonnant, le président crée un comité de facilitation du dialogue inter haïtien. Théoriquement, ces mandataires de la présidence sont appelés à enclencher un dialogue politique franc et sincère devant conduire à la formation d’un nouveau gouvernement. Ce comité de facilitation du dialogue inter haïtien, énième initiative du président sur la question du dialogue, accuse de grands déficits : la notoriété limitée des membres du comité, la légitimité alambiquée du président, les conflits intestins de l’exécutif ; pour ne citer que cela. Alors, carburer le dialogue revêt une  importance singulière pour l’administration américaine qui y voit l’opportunité de révéler au grand jour son soutien au gouvernement haïtien. En effet, elle a dépêché son sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques, M. David Hale, pour tempérer les désaccords qui minent l’exécutif ; rencontrer la classe politique, le secteur privé et la société civile. Cet émissaire n’a de puissance que celle que lui octroie le président de la République qui, dans un tweet exaltant, n’a pas caché son honneur d’accueillir un sous-secrétaire. Un sous-secrétaire d’État pour rencontrer le président ? Exact ! Cette visite du numéro 3 du département d’État américain, acquise au prix fort, est d’une stature salutaire pour le 58e locataire du Palais national, mais recèle l’ADN de la mise en berne de la fierté nationale. Malgré leur proximité géographique, leurs relations diplomatiques drapées sous les apparences d’amitié et la grande histoire d’Haïti, les États-Unis d’Amérique continuent de traiter la première République noire avec mépris et condescendance. Obsédé d’arriver au terme de son mandat, le président a frayé la voie à l’ingérence américaine. Une ingérence qui nous coûte depuis toujours les pires humiliations. Une ingérence qui est la négation de notre souveraineté acquise au prix du sang et de grands sacrifices.

Le cours des évènements nous alerte que le chemin du changement sera long et éprouvant. Les pouvoirs publics ne sont pas à la hauteur des défis de l’heure. Les gouvernants ne jurent que par la conservation de leurs privilèges, au péril de l’intérêt général. L’opposition peine à proposer une alternative sérieuse. Si grâce à son initiative et à ses luttes, deux rapports du Sénat et un rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif ont permis d’élucider l’implication du président dans la dilapidation des 4.2 milliards de dollar des fonds Petro Caribe, l’opposition dans son ensemble doit s’évertuer à mener les revendications populaires à bout et d’initier illico le dialogue national.  Car le dialogue national n’est ni du ressort d’un émissaire étranger ni d’un président tombé en décrépitude. En effet, elle sera un interlocuteur de premier plan dans les échanges avec les acteurs nationaux et étrangers en vue d’une sortie durable à la crise. Puisque l’homme reste le moteur de l’Histoire, tout n’est pas perdu.

Évidemment, l’espoir est en berne. Le ciel a perdu sa clémence d’antan. Le tâtonnement devient une norme, la médiocrité un mot de passe d’ascension sociale et politique, la corruption un trait de définition de politique publique. La déception généralisée se gonfle. Parallèlement, le passif des décideurs politiques s’accentue. En revanche, le dernier mot revient au peuple qui doit réparer sa souveraineté fissurée et rattraper son avenir dérobé par des incompétents élevés au rang de dirigeants.

Walsonn Sanon

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