De l’intransigeance…à l’indignation, pourtant…

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07/23/2021

L’union fait la force. Cette légende inscrite sur notre drapeau vaut tout son pesant d’or. Vu notre genèse de peuple constitué de tribus diverses, mais arrachées du même sol, l’Afrique, l’alma mater. Transportés à des milliers de kilomètres de chez nous comme des bêtes fauves et traités comme tel sur une nouvelle terre, où, pour la plupart de filles et fils de rois nous allons être transformés en esclaves destinés au bout du compte à la potence ou au pire. Ayant bien compris le sens de l’union face à l’adversité, nos ancêtres, parmi lesquels Bookman et la Princesse Cécile Attiman Coidavid ou Cécile Fatiman, ont pu briser les clivages tribaux en organisant la cérémonie du Bois Caïman et par la même occasion ouvert la voie à la création de la première République noire libre et indépendante du monde le 1er Janvier 1804.


Jadis symbole de liberté, de respect des droits humains, de lutte pour l’autodetermination des peuples, Haïti est malheureusement devenue une terre invivable à fuir dès la première occasion. Depuis l’assassinat de l’Empereur Jean Jacques Dessalines, père de la nation en Octobre 1806, nous demeurons les mauvais élèves de la région en matière de stabilité politique. Les crises sont à la fois multiformes et récurrentes. Et à chaque fois nous avançons de mal en pis.

Aujourd’hui, en dépit d’un semblant de calme, certes apparent, nous sommes en plein dans le chaos depuis l’assassinat du Président Jovenel Moise dans la nuit du 6 au 7 Juillet 2021. Ce crime odieux, tel la conque « lambi » de nos ancêtres devrait sonner la révolte tant chez adversaires que partisans du Président assassiné. A ce stade, on aurait même croire à un réveil de conscience collective. Mais c’est sans compter sur ceux-là qui ne jurent que pour la défense des intérêts individuels ou de clans. Hélas ! Car, sur le cadavre encore chaud du Président, la prise du pouvoir se dispute âprement. On dirait ce passage biblique après la crucifixion de Jésus où il est écrit : « … ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort. »

Certainement, le Président n’était pas un saint homme. Cela étant dit, il était sujet à des reproches particulièrement de l’opposition. Mais cela ne devrait pas servir de prétexte pour ne pas trouver une trêve politique avec pour finalité sortir Haïti de ce chaos.

L’assassinat en soi a soulevé, certes, la réprobation de la classe politique dans sa quasi-totalité, mais la question ne s’arrête pas là. Le front commun contre ce crime crapuleux devrait donner rapidement naissance à un modus vivendi donnant priorité aux intérêts suprêmes de la nation qui devrait, comme un seul homme, se mettre debout pour exiger que les assassins d’où qu’ils viennent et de quelque groupe qu’ils appartiennent, puissent répondre de leurs actes.

A contrario, la soif du pouvoir s’est vite transformée en guerre de tranchée où chacun ne cherche qu’à défendre tant bien que mal son petit territoire. Or, un minimum de consensus permettrait aux étrangers de voir Haïti autrement. Nous sommes en passe de devenir un petit territoire dont l’administrateur est un étranger qui nous dicte normes et principes qui ne s’appliquent même pas chez lui.

De l’intransigeance de part et d’autre à l’indignation de tout un peuple, pourtant ce prévisible chaos était évitable. Lorsque, depuis plus de deux ans, nous avons personnellement appelé les protagonistes de la crise au dépassement de soi et de prendre le chemin du dialogue, il a fallu tout simplement à ces derniers de considérer cette maxime de Cicéron dans de Legibus : « …salus populi suprema lex esto. » Que le bien-être du peuple soit la loi suprême. Telle n’a pas été leur principale préoccupation, mais la lutte à tout prix pour la conservation ou la prise du pouvoir quelles qu’en soient les conséquences.

Dans cette conjoncture, nous n’avons pas l’intention de faire le procès d’une catégorie de personnes et de les rendre seules responsables des malheurs séculaires du pays. Toutefois, nous n’entendons pas non plus nous laisser prendre au piège de ceux qui jouent au Ponce Pilate et ne pas, du doigt, toucher la plaie. Aujourd’hui, Haïti se trouve au fond du gouffre et nos élites politiques en particulier en sont parmi les premières responsables. Elles sont, en tout état de cause, dépositaires de responsabilités envers la société notamment pour tout ce qui concerne des prises de décision dans les pouvoirs publics.

Si ces dernières constituent les premiers maillons de la chaine de responsabilités, elles ne sont pas pour autant l’unique. À ce groupe il convient d’adjoindre les élites intellectuelles et économiques, lesquelles en constituent des maillons aussi importants que le premier. Il revient donc à tous ces trois groupes d’élites occupant chacun en qui le concerne une éminente place due à certaines qualités valorisées socialement, de se mettre ensemble. Ce, pour constituer ce que nous pourrions considérer comme l’Etoile Polaire devant donner direction au reste du corps social notamment à nos vaillants(es) paysans (es), ne bénéficiant jusqu’à présent d’aucun accès aux services sociaux de base dans les mornes d’où ils font fructifier nos champs.


Le manque, voire l’absence même de patriotisme des uns, l’égocentrisme, le déficit de maturité politique et l’incapacité à pouvoir transcender des autres constituent autant de tares qui empoisonnent l’agir politique, économique et social de ces hommes et femmes que constituent ces élites décidément peu intéressés (es) à refonder l’Etat-nation.

Si nos ancêtres ont tout mis en œuvre pour briser les chaines de l’esclavage et nous léguer une patrie, nous avons, quant à nous, choisi la voie de l’obéissance servile de nouveaux maitres et de la déshumanisation. Au lieu de mobiliser les énergies autour des valeurs fondatrices dont la solidarité, le respect mutuel, entre autres, nous nous livrons de préférence à des luttes fratricides sachant pertinemment que nous importerons la guerre avec ces conséquences dévastatrices.

Avec les besoins de sécurité et de défense de la démocratie tels qu’ils sont animés ailleurs, une seule porte de sortie s’offre à nous : Le dialogue sincère interhaitien. Il est possible et nous devons l’organiser en surmontant tous les clivages quels qu’ils soient. Nous devons, cependant, cesser d’agir comme des enfants devant avoir constamment derrière nous des tuteurs pour nous guider.

Pour une fois, prouvons que nous méritons encore des prouesses de nos ancêtres en faisant en sorte que notre pays reste indépendant et souverain.



Walsonn Sanon

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