Radiographie d’une fin de système et de règne et perspectives d’avenir pour une nouvelle Haïti

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Dimanche 17 Novembre 2019

Par Jacques Norcius Jean

Bref état des lieux

La situation socio-politique et économique du pays au cours de ces dernières années et particulièrement ces derniers mois est plus que chaotique. Nous sommes en train de vivre l’un des moments les plus sombres de notre histoire de peuple, beaucoup de personnes parlent de crise humanitaire (on pourrait même dire aiguë). En dépit de tout Jovenel Moïse s’accroche au pouvoir, il est appuyé par certains Ambassadeurs corrompus du CoreGroup, quelques revendeurs strictement liés au secteur mafieux de ce pays, quelques conseillers, directeurs généraux  et membres du gouvernement dilapidateurs de fonds publics.

Jovenel Moise tente de se faire passer comme une victime du système  ou quelqu’un qui veut changer le système. C’est une vaste plaisanterie !  De quel système parlons-nous ? L’un des plus grands bénéficiaires du système se dit contre le système. Il faut se le rappeler, quelques mois avant la tenue des élections de 2016, Jovenel MoÏse fut un illustre inconnu avec un dossier de blanchiment d’argent avéré de l’UCREF, pourtant il est devenu Président de la République grâce au système. Il a pu trouver la bagatelle somme de 14.000.000 de dollars US pour une affaire de banane qui n’existe plus. Là encore ce fut une véritable arnaque, tout cela par le biais du système. Actuellement, il entreprend des actions judiciaires à l’encontre de certains hommes d’affaires qui ne sont plus ses alliés comme preuve de lutte sans merci contre le système. On voit très clairement qu’il s’agit d’une diversion au moment où tous les secteurs vitaux de la nation réclament sans ambages sa démission.

C’est quoi le système ?

Un système c’est un ensemble d’éléments liés entre eux dans le but de remplir certaines fonctions bien spécifiques. Ce qui revient à dire que dans le système, il y a une chaîne, un ensemble de personnes et/ou d’institutions qui sont là pour assurer sa pérennité.

Le système dont nous faisons allusion c’est l’incapacité d’un citoyen lambda de trouver du crédit auprès des bailleurs de fonds même quand il a un projet bien ficelé et prometteur. Un pays où la corruption devient la norme dans les secteurs public et privé. Les plus grands commerçants ont le contrôle de la douane, ils payent ceux qu’ils veulent et quand ils veulent et ces produits et/ou services sont revendus à des prix exorbitants 1.000% de bénéfice net. Aucune initiative n’est prise pour la relance de la production nationale, nous dépendons presqu’exclusivement de l’importation.

Des écoles qui n’ont aucune infrastructure de base, des professeurs qui ont un salaire de misère et beaucoup d’entre eux ne sont pas qualifiés. Des professeurs sans lettre de nomination qui travaillent dans des conditions exécrables et qui sont souvent en grève. On parle d’écoles à plusieurs vitesses, dans ce cas-là, il est impossible de parler d’égalité des chances, parce que pour le même nombre d’années passées à l’école avec un même quotient intellectuel et le même niveau de sacrifices consentis tous les fils et filles du pays n’ont pas le même niveau d’instruction. L’exclusion systématique commence déjà à ce stade.

Un système de santé où les hôpitaux ne sont pas équipés et beaucoup de médecins qui fonctionnent dans le système ne sont pas à la hauteur de leurs taches. On peut se poser également des questions sur la qualité d’enseignement de certaines facultés de médecine. Certains médecins n’ont pas les qualifications et compétences requises pour fournir un service de qualité et il n’y a pas un ordre de médecins qui régule l’exercice de la profession. La grande majorité de la population n’a pas d’assurance médicale et pour recevoir des soins dans un centre hospitalier le plus souvent il faut verser de l’argent cash pour qu’on puisse entamer le processus, même quand c’est urgent.

Les élections sont toujours truquées, il y a souvent des contestations légitimes, le bulletin de vote est considéré comme une marchandise et le taux de participation déjà très faible régresse à chaque processus électoral. Les élections sont financées également par certains grands commerçants mafieux qui en retour contrôlent les différents circuits financiers du pays.

La justice est inopérante et elle est vendue comme une marchandise aux plus offrants. Aucun pays ne peut parler de développement socio-économique sans un système judiciaire fiable favorisant les investissements étrangers et autres. Un homme ou une femme d’affaires honnête a besoin d’un système judiciaire qui inspire confiance avant d’investir son argent.

Les difficultés d’accès au crédit, l’absence d’une volonté politique et le manque systématique d’infrastructures de base handicapent la production nationale. Les paysans n’ont pas de crédit agricole et ce secteur était déjà très affaibli à la suite de l’abattage des porcs créoles en 1981 par les américains en parfaite complicité avec Duvalier. Comme conséquences directes, la dégradation de l’environnement s’est accélérée, les paysans se recourent au charbon de bois pour subsister et l’exode rural s’est amplifié, les paysans sont en quête du pain, du travail. Les villes qui n’étaient déjà pas en mesure d’accueillir des populations aussi nombreuses, qui n’ont pas les infrastructures adéquates pour y faire face se sont écroulées.

Le chômage bat son plein et beaucoup de gens qui travaillent n’ont pas un salaire leur permettant de répondre à leurs principaux besoins (on parle de chômage déguisé). Ils ne reçoivent pas un salaire proportionnel au travail fourni.  Des grands commis de l’Etat perçoivent un salaire faramineux accompagné d’autres privilèges et ils ne fournissent pas grand-chose en retour. La médiocrité, l’irresponsabilité, la cupidité et l’appât du gain et biens faciles constituent la norme au niveau de l’administration publique tandis que la grande majorité de la population est en situation d’insécurité alimentaire, meurt de faim et de maladies de toutes sortes.

Voilà en quelque sorte ce que c’est que le système. Un système qui met le pays dans cette léthargie où nous sommes, les plus nécessiteux ne peuvent pas espérer et quand il n’y a pas d’espoir, il n’y a pas de vie. Comme ce système ne tient plus, ses résultats sont catastrophiques, il faut changer de paradigme, les choses doivent être effectuées autrement.

Contexte actuel

L’opposition plurielle s’est réunie les 8, 9 et 10 novembre 2019 d’abord à l’Hôtel Mariott ensuite au local du CTH à Frères avec l’appui de la Passerelle pour signer l’accord relatif au remplacement de Jovenel Moïse et de son gouvernement de facto. C’est une étape fondamentale dans la lutte visant la destitution de ce pouvoir sanguinaire. Il suffit de faire un bilan du nombre de morts et de blessés par balles au cours de ces deux derniers mois. La Police Nationale d’Haïti n’a pas rempli sa mission de protéger et servir l’ensemble des citoyens. Certains policiers ont commis des atrocités à nulle autre pareille contre des citoyens qui ne font que manifester pour défendre leurs droits légitimes et constitutionnels tels que le droit à l’éducation, à la santé, à la sécurité, à l’alimentation et à un logement décent. C’est la répression systématique ! Fidel Castro disait : « Si dans ton pays tu n’as pas accès à la santé,  l’éducation, la justice et la culture tu as le droit de te rebeller ». Donc, de notre côté nous continuons à mener cette lutte jusqu’à la victoire finale.

Grâce à cet accord l’opposition plurielle désormais parle d’une seule voix et il n’y a plus de prétexte faisant croire que le pays risque de tomber dans le chaos avec une démission de Jovenel Moïse. L’organisation politique Fanmi Lavalas n’a pas signé l’accord mais elle a fait sortir une note pour justifier sa position. Pour elle, la démission de Jovenel Moïse est plus importante que la formule adoptée pour son remplacement. Elle va continuer à lutter dans le but d’arriver à atteindre cet objectif. Ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de désaccord entre elle et les autres entités signataires sur le départ de Jovenel Moïse. Les carottes sont cuites !

Jovenel Moïse n’a aucun soutien populaire, toutes les forces vives de la nation se sont prononcées contre le maintien de ce Monsieur au pouvoir, d’autant qu’il est indexé par le rapport de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA), une institution républicaine, le plus grand tribunal administratif du pays sur la dilapidation des fonds de Petro Caribe. Dans tous les pays du monde l’éthique a toujours une place prépondérante dans la vie politique. Donc, on ne peut pas parler de dialogue après une telle accusation, la personne concernée doit se mettre à la disposition de la justice. D’ailleurs, au lieu de rectifier le tir, il s’est empêtré dans d’autres sales combines : SOFIDAI, massacre de la Saline, massacre Bel air, l’affaire des mercenaires et Dermalog pour sa femme.

Le pays n’est pas dirigé, les écoles ne peuvent pas fonctionner, toutes les routes menant vers les différentes villes de province sont fermées, l’insécurité bat son plein, toutes les entreprises sont en difficulté et certaines d’entre elles ont déjà fait faillite, même les administrations publiques qui sont sous le contrôle direct du Président de la République ne peuvent pas fonctionner.

Le chômage a augmenté de façon exponentielle dans un pays où il atteignait déjà un taux inacceptable, car certaines entreprises pour rester en vie sont obligées de compresser leur personnel.

Le déficit budgétaire n’a jamais été aussi criant, 76 milliards de gourdes de recettes collectées et 131 milliards dépensées pour l’exercice 2018-2019. C’est un véritable désastre qui a comme conséquence directe la dépréciation systématique de la gourde ( li fin tounen zorèy bourik ).

Donc, le pays n’est pas gouverné, les haïtiens sont aux abois, livrés à eux-mêmes. Dans une situation pareille, un Président qui n’a aucune légitimité, désavoué par toute une population, qui reste au Palais National jouissant des privilèges et incapable de fournir le moindre service est un usurpateur.

Perspectives pour une nouvelle Haïti

Nous sommes au bord du précipice, nous ne pouvons pas descendre plus bas, nous devons travailler dans le but de renverser le système. Pour cela, l’adoption de ces différentes mesures dont certaines peuvent être appliquées par l’Autorité Nationale de Transition et d’autres peuvent être débattues au cours de la Conférence Nationale Souveraine est impérative.

 1- Immédiatement après le départ de Jovenel Moïse et la dissolution du parlement (beaucoup de ces parlementaires ont été mal élus), il faut organiser la Conférence Nationale Souveraine dans le but d’instaurer un « Nouveau Contrat Social », une justice véritablement indépendante, c’est-à-dire une autre façon de nommer les juges et du fonctionnement du système judiciaire. Aucun pays ne peut progresser sans un système judiciaire fiable, aucun investisseur étranger ne va consentir à investir d’importantes sommes d’argent dans un pays où le système judiciaire est défaillant et en Haïti il est avili parce qu’il dépend 100%100 du pouvoir exécutif.

2- L’Etat haïtien vit largement au-dessus de ses moyens. Il faut réduire de 50% le budget du parlement et éliminer les affaires de poisson, rara, rentrée des classes, fêtes champêtres, carnaval, fin d’année, etc. Ces différentes subventions peuvent être utiles à la population nécessiteuse. On doit même penser à un parlement monocaméral, car le système bicaméral actuel n’aide pas véritablement au renforcement de la démocratie. Il faut regarder les résultats, cela augmente plutôt le volume de marchandage, corruption et autres quand on doit ratifier un premier ministre ou voter une loi importante pour un secteur quelconque.

3- Il faut réduire de 70% le budget du Palais National et de la Primature, les frais exagérés de nourriture pour le Président de la République et le Premier Ministre, les per diem exorbitants, le volume de conseillers et consultants qui ne sont là que de  nom, les flottes de véhicules blindés, les locations d’hélicoptères pour des sommes astronomiques, etc. ne rendent aucun service à la nation.

4- Il faut réduire de 50% le personnel diplomatique qui n’accomplit pas grand-chose au bénéfice de la population. La mission diplomatique haïtienne était déjà pléthorique et lors des négociations pour la ratification de Laurent Salvador Lamothe comme Premier Ministre ce fut le coup de grâce.

 5- Il faut réduire le nombre de ministères et de 50% également le budget alloué aux différents ministères.

6- Il faut mettre un terme à cette affaire d’achat et de location de véhicules gros cylindrés, très chers à longueur de journée pour n’importe quel petit fonctionnaire, ce qu’on ne voit pas dans les pays qui ont beaucoup de moyens économiques que nous. Dans cette affaire d’achat et de location de véhicules, il y a toujours d’importantes ristournes, c’est une importante source de corruption.

7- Il faut réduire de 60% le personnel de l’ONA et mettre de l’ordre dans les autres Directions déconcentrées et autonomes de l’Etat telles que : l’APN, la Douane, l’OAVCT, l’AAN et autres. Il faut réviser la structure administrative de ces Directions, penser plutôt à un conseil de direction nomme par le parlement pour un nombre d’années bien défini, cela pourrait aider à lutte contre la corruption dans ces boîtes.

8- Il faut combattre effectivement la corruption au niveau de la douane (la contrebande), la Direction Générale des Impôts (DGI) et l’APN.

9- Il faut prendre toutes les dispositions nécessaires pour récupérer l’argent volé par les dilapidateurs des fonds de Petro Caribe.

10- Il faut adopter des dispositions concrètes pour l’encouragement, l’incitation et la protection de la production nationale, c’est l’une des conditions sine qua non à la stabilité de la gourde ki fin tounen zòrèy bourik. 

11- Il faut organiser un tribunal spécial pour la tenue du procès Petro Caribe ainsi que le massacre de La Saline, le dossier Dermalog et autres.

12- Il faut éliminer les affaires de première, deuxième et x résidence pour les parlementaires, les grands commis de l’Etat, les ministres et autres. On donne des frais de loyer aux ministres et certains grands commis de l’Etat qui ont déjà leur propre maison. C’est absurde et inadmissible !

13- Il faut adopter des mesures à travers la Conférence Nationale Souveraine et une éventuelle constitution pour que la diaspora puisse participer effectivement  à la vie politique du pays (droit de vote, double nationalité, etc.).

Ces différentes mesures peuvent permettre à l’Etat haïtien de trouver suffisamment d’argent pour certains services sociaux de base, payer les petits fonctionnaires qui sont utiles à la nation sans avoir recours à l’aide externe et réviser à la hausse le prix du carburant.

La Conférence Nationale Souveraine doit jeter les bases d’un autre système éducatif (une école vraiment républicaine visant l’égalité des chances et où les principales valeurs de la République doivent être enseignées), un autre système sanitaire, le renforcement de la démocratie et une meilleure répartition des richesses du pays en menant une lutte sans merci contre la corruption.

En analysant les atrocités de la Présidence de Jovenel Moïse, l’utilisation et/ou la manipulation de la PNH et des gangs armés, les assassinats politiques avant, pendant et après les manifestations, les différents massacres et tueries, les scandales de corruption en série, etc., un citoyen conséquent doit prendre ses responsabilités en participant activement dans la lutte pour la démission et le jugement de ce Monsieur.

Jacques Norcius Jean, citoyen haïtien engagé

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