Le «Napoléon noir», martyr puis sauveur du fort de Joux

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Père de l’indépendance d’Haïti et figure de proue de l’abolition de l’esclavage, Toussaint Louverture est mort le 7 avril 1803, alors qu’il était emprisonné dans le Haut-Doubs français. Deux siècles plus tard, son souvenir contribue à promouvoir le tourisme culturel d’une région mésestimée.

Nicolas Merckling Publié lundi 7 avril 2003 à 02:10

Longue d’une dizaine de mètres, la pièce ne paie pas de mine. Malgré une fenêtre, protégée par des barreaux, le soleil n’y pénètre jamais. L’humidité et le froid traversent les pierres jaunâtres qui forment une voûte en berceau. Un lit, une commode, une chaise et une table en bois, à côté d’une cheminée, constituent le seul mobilier. C’est ici, le 7 avril 1803, il y a exactement deux siècles que Toussaint Louverture, père de l’indépendance de Haïti et farouche partisan de l’abolition de l’esclavage sur son île, est mort des suites d’une pneumonie.

A l’époque, le consul Bonaparte voulait empêcher cet esclave affranchi, nommé général en chef de l’armée coloniale de Saint-Domingue et autoproclamé gouverneur à vie de cette île des Caraïbes, de mener à bien ses desseins d’indépendance pour Haïti, qui aura finalement lieu le 29 novembre 1803. Il l’a fait jeter dans les geôles d’une des nombreuses prisons d’Etat: le château fort de Joux, situé dans le massif du Jura aux portes de la Suisse, entre Pontarlier et Vallorbe. De la fin du XVIIe siècle au début du XIXe, cette forteresse médiévale a abrité des détenus de prestige, tels le Comte de Mirabeau ou le cardinal romain Cavalchini. Les conditions de détention étaient luxueuses pour cette époque: Toussaint Louverture était emprisonné avec son domestique, alors que Mirabeau avait le droit de sortir pour chasser sur les terres domaniales.

Surnommé le «Napoléon noir» par Chateaubriand, parce qu’il avait réussi à mettre en déroute les troupes espagnoles et qu’il avait fait subir de lourdes pertes aux soldats envoyés par le consulat, le Haïtien représente aujourd’hui encore le symbole de la décolonisation, l’abolition de l’esclavage et le pouvoir noir.

Pour rendre hommage à cet illustre détenu, mais surtout pour promouvoir le château de Joux et la région du Haut-Doubs, la ville de Pontarlier ainsi que les communes limitrophes organisent tout au long de l’année des événements commémorant le bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture. Une véritable opération marketing reconnaît Joël Guiraud conservateur du musée de Pontarlier associé aux festivités: «Notre région est surtout réputée pour son tourisme sportif et de loisirs, avec le château de Joux nous comptons mettre en valeur son tourisme culturel.» Le lancement des festivités a lieu aujourd’hui en présence de personnalités haïtiennes.

Depuis près de mille ans, cette forteresse érigée sur un contrefort du massif du Jura, entourée de forêts de conifères, domine la cluse de Pontarlier. Un carrefour stratégique où se croisent les vallées situées sur l’axe Nord-Sud, traversées par la route qui a longtemps permis aux armées et aux commerçants de rallier l’Italie à la Flandre, et celles sur l’axe Est-Ouest en direction du Val-de-Travers et de la Bourgogne. Haut lieu de l’histoire régionale et européenne, cette forteresse a vocation à devenir l’une des principales attractions du département français du Doubs. Dix-huit millions d’euros (27 millions de francs) seront investis sur dix ans pour rénover les cinq enceintes successives et les trois ponts-levis du château. Les travaux ont commencé en 2001.

La première mention de cette fortification dans des documents remonte à 1034. Elle relate le siège infructueux par les Lombards de cette demeure féodale occupée par les seigneurs de Joux. La partie érigée au Moyen Age, qui comporte des enceintes à meurtrière, des tours à bossage pour repousser les boulets de canon et un donjon où logeaient les châtelains, est située au sommet de l’actuel château. Le faîte de ses toits atteint 1000 mètres d’altitude.

A plusieurs reprises, le château changera d’occupants. A la faveur du mariage entre Jacquette de Joux et Jean de Blonay, il est occupé par les comtes de Neuchâtel en 1326. Il est vendu en 1410 à la maison féodale de Vienne, puis en 1454 à Philippe le Bon, comte de Bourgogne. La forteresse retournera dans le giron neuchâtelois en 1480, pour quelques années seulement. L’empereur Maximilien, craignant une invasion de la Franche-Comté par les Français appuyés par les Neuchâtelois, réussit à s’emparer du château en 1507 et à le confier au comté de Bourgogne. En 1678, les troupes de Louis XIV réussissent à envahir la province de Franche-Comté et le château de Joux. A la fin du XVIIe, siècle le site est agrandi et fortifié par Vauban qui y construit des enceintes. Servant de garnison militaire, le fort de Joux accueille entre 400 et 600 soldats. Au moment de la défaite de Napoléon, les Autrichiens s’en emparent en 1814 avant de devoir le rendre. En juillet 1815, c’est au tour des Bernois de parvenir à l’occuper. Mais ils sont contraints de l’abandonner quelques mois après, face à une contre-offensive française.

Après la guerre de 1870, au cours de laquelle le château a à nouveau démontré son efficacité face à l’invasion prussienne, la France confie au maréchal Joffre le soin d’agrandir les fortifications. Il construisit un fort enterré. Au début des années 1950, le château perd sa fonction militaire et est cédé par l’Etat français à la commune de La Cluse-et-Mijoux. Depuis, il est ouvert au public et abrite un musée militaire composé d’armes et d’uniformes anciens.

source: Le «Napoléon noir», martyr puis sauveur du fort de Joux – Le Temps

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