Discours de Jude Elie Phd. à la Sorbonne

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le 3 Décembre 2022

Par Jude Elie, Phd.

Monsieur le Doyen de la Faculté des sciences politiques,

Messieurs et mesdames les professeurs,

Chers parents,

Chers étudiants.

C’est avec une profonde humilité que je m’adresse à vous en tant que Valedictorien de la promotion 2022 de la Faculté des sciences politiques. Ayant réfléchi sur le thème de mon allocution, je n’ai eu aucune peine à jeter mon dévolu sur «  La Grande Résignation » qui a fait couler beaucoup d’encre.

J’ai pris soin de m’appuyer sur le Professeur Emil Vlagki de l’Université d’Ottawa qui, dans son ouvrage «  Les Misérables de la Modernité » publié en 1999, a su prédire tout ce qui se passe aujourd’hui dans le monde du travail. Il débute avec l’admonition de Dieu à Adam après sa désobéissance, qui préfigure une rationalité que le monde aura de la peine à identifier et à accepter.

Si nous remontons donc à l’ origine de l’humanité, nous constatons en effet  que l’Histoire de la Rationalité commence avec Adam, qui  aurait gouté de l’arbre de la science du bien et du mal sous l’instigation de sa compagne Eve, entrainant ainsi la condamnation de l’homme par Dieu à manger à la sueur de son front. Le Créateur, dans sa Sagesse inouïe, confie à l’homme  la clef de sa destinée et du même coup le met sur le chemin de la perfection de son entendement et de son intellect en vue de subvenir à ses besoins futurs.  Il devient donc rationnel, il cultive son lopin et se construit un logis qui le  protègera contre les intempéries. L’histoire confirme donc l’adhérence de l’homme au concept de la rationalité en tant que science infuse ou don ineffable du Créateur indispensable au développement humain.

Apres le déluge et restant sur la piste de l’histoire telle qu’elle nous a été transmise par les Saintes Ecritures et l’évolution des nations de la Tour de Babel à nos jours, nous observons que  certains groupements humains ayant embrassé la rationalité comme guide ont avancé les premiers vers le progrès jusqu’à créer des industries, rudimentaires d’abord mais compatibles avec leur niveau de développement intellectuel. C’est ainsi que l’on se réfère à la Crète et à la Mésopotamie et plus particulièrement au roi Hammourabi qui édifiera un code de conduite  dont les principes  rappelleront plus tard les Dix Commandements que Dieu donna à Moise. Le peuple juif sera le premier à adopter le principe d’un Dieu unique, point culminant de son évolution, tandis qu’un de ses citoyens Jésus Christ institutionnalisera l’Eglise Chrétienne qui se répandra dans le monde avec la proclamation de l’Empereur Constantin II en l’an 311. La rationalité devient humaniste et participe à la création de la civilisation humaine dont les tentacules se retrouveront dans toutes les parties du monde.

L’homme a été créé pour découvrir et dominer le monde. Graduellement il parvient à la compréhension philosophique et maintient avec Platon l’hétérogénéité radicale entre l’intellect et les sens et la supériorité de l’intellect. Parallèlement tandis qu’il développe les sciences selon le concept de la rationalité, il en étudie les résultats quant à leur application, les soumettant au control rigide de la Philosophie. Il remarquera bien vite que la Philosophie a échoué, la légitimité de la rationalité devenant un point d’interrogation dans l’équation de la définition des sciences ; il tournera vers la Théologie pour ce control et rejettera la rationalité comme une finalité.

L’histoire ne s’arrête pas là.  Apres avoir découvert le monde et les sciences, l’homme veut les dominer. Cette fois il veut aussi dominer  les hommes et les réduire en esclavage si possible. Les nations puissantes réduisent le concept de rationalité à un humanisme égoïste,  redéfinissant ses critères dans un contexte nationaliste moderniste et absolu ; elles iront jusqu’à utiliser la force brutale et la colonisation pour conquérir le monde. Des  traités et des conventions de toutes sortes se formeront dans les périphéries des centres majeurs d’attraction politico-économique et les traités de Westphalie, en mettant fin à la guerre de trente ans en particulier, consolideront l’hégémonie de certains pays européens qui deviendront des acteurs principaux dans la conduite de l’Europe d’aujourd’hui.

L’OTAN et l’ONU et plus tard La Communauté Européenne seront le résultat d’un monde à la recherche d’un équilibre global, assoiffé d’un répit que les guerres et les conflits mondiaux lui auront refusé. Ce monde maintenant épuisé se regroupe autour des idéaux de puissance et de control  dans une perspective politico-économique nouvelle reprenant tout en la modifiant l’ancienne thèse de la rationalité.   Le dix-neuvième  siècle  s’impose avec son industrie et le concept de modernité envahit les esprits, jetant la base d’une exploitation féroce et sanguinaire ; l’homme devient une commodité et son travail une source de domination pour les nantis. Les taches sont plus difficiles à exécuter et la technologie s’installe dans les classes supérieures dans  le contexte de la modernité ; la masse des travailleurs manuels et le prolétariat sont exploités et privés du minimum nécessaire à leur existence. L’exploitation s’observe jusque dans les périphéries qui approvisionnent les centres industriels  où résident la fortune et les services essentiels.

L’esclavage se poursuit et des milliers de noirs sont transportés dans les cales des bateaux négriers vers les champs de canne à sucre et de tabac aux Etats-Unis, en Amérique Latine et dans les Caraïbes. Cette barbarie durera plus de 400 ans jusqu’à l’arrivée de Toussaint Louverture à Saint Domingue ; celui-ci combattit les Espagnols  et les Anglais et enfin les Français pour enfin déclarer l’abolition de l’esclavage dans l’ile. L’histoire rapporte qu’il faisait bon commerce avec John Adams le second Président des Etats-Unis à qui il conseilla d’assurer «  le bonheur de son peuple et de l’humanité ». Cette pratique, philosophiquement définie «  le rationalisme humaniste », et  qui allait être le modus operandi  pour le monde échoua avec l’arrivée de Napoléon Bonaparte comme Proconsul et la défaite de John Adams au profit de Thomas Jefferson.

Toussaint lui-même fut fait prisonnier à l’arrivée de la flotte française dont le but était de rétablir l’esclavage. Le Général Jean-Jacques Dessalines le Grand prit la relève et réalisa l’indépendance le premier Janvier 1804. 

Nous disons que le rationalisme humaniste subit un coup fatal à Saint Domingue, colonie esclavagiste où une pareille doctrine n’aurait peut-être pas fleuri d’une façon ou d’une autre. Cependant selon Vlajki, l’humanité qui est encore jeune se questionne face à l’appropriation, par les grandes puissances, des matières premières   dans  les pays sous-développés qu’elles appauvrissent, sur les guerres que ces dernières ont causées, sur les génocides qu’elles ont occasionnés, sur les pathologies sociales qu’elles ont enfantées ainsi que sur la drogue et les criminalités qu’elles ont introduites dans ces communautés autrefois innocentes et naïves.

L’humanité confronte un rationalisme absolu   qui est la résultante d’un patronat constitué de millionnaires et de  milliardaires et dépourvu de tout contact avec les professionnels et   la masse des ouvriers aux échelons inférieurs. A la bourse l’enjeu reste superficiel considérant leur domination et leur mainmise sur les industries majeures et les moyens de communication ; les fluctuations du marché tout comme les interruptions dans le processus de livraison des biens et des produits  sont vite corrigées à leur satisfaction, sous peine de créer une instabilité globale dans tous les secteurs  de l’économie.

La grande résignation observée aux Etats-Unis d’Amérique durant et à cause de la pandémie n’affecte en rien le mécanisme  mis en place par le rationalisme absolu ; une certaine programmation assiste les employés sortant et du même coup recrute les nouveaux à des salaires inférieurs à ceux des démissionnaires. Un budget raisonnable est affecté au processus d’apaisement de la force du travail et de la réintégration des mécontents à travers un système d’introduction à des postes plus alléchants moyennant un entrainement plus ou moins prolongé dans des centres de formation académique ou pratique. Les jeunes universitaires, moyennant une période de stage obligatoire qui varie du doctorat au degré de bachelier sont bien rémunérés. Le patronat qui n’a rien à perdre investira  à rendre ses employés beaucoup plus productifs et plus efficients.

Du Rationalisme de René Descartes à la rationalité économique  d’Adam Smith, à la rationalité en tant que finalité de Max Weber dans son assertion que le capitalisme moderne a sa source dans le processus de rationalisation, nous aboutissons à Martin Heidegger qui en 1954 considérait la technologie moderne comme une manifestation extrême du désir du pouvoir des humains et au philosophe Belge Jean Ladrière qui en 1977, dans son ouvrage «  The Stakes of Rationalité. The challenge of science and technologie to cultures » opine que si la science débuta dans la Grèce antique avec des buts purement spéculatifs en vue de connaitre le monde, aujourd’hui elle se donne la vocation d’agir sur ce monde à travers les technologies ; cependant cette entreprise a atteint de telles proposions qu’elle menace les cultures traditionnelles à travers le monde. N’oublions pas Jacques Bouveresse qui en 1985 se demande si la réalisation des effets négatifs et destructifs de la science et du progrès technique d’aujourd’hui pousse les gens de plus en plus à questionner  la connaissance dans le sens moderne du mot, était la meilleure option possible pour nos sociétés. Finalement il plaide en vue de la réhabilitation de la Sagesse contre la connaissance.

Malgré ces critiques, peut être légitimes, nous n’accepterons pas la légitimité de l’inaction. Le rationalisme absolu est un moment historique dans notre évolution en tant qu’êtres politico économiques avec des aspirations scientifiques. Du monde occidental nous  observons les limites et les conséquences  incommensurables. Le chômage endémique, la criminalité, les stupéfiants et le racisme,  la dégradation de l’environnement, les guerres intestines, la famine, la corruption, sont autant de maux attribués à la rationalité absolue à laquelle nous participons tous, chacun à son niveau d’expertise.

Nous pouvons sans crainte inférer que l’Orient ne cède le pas à aucune des  tendances observées dans l’Occident.  Certains intellectuels pensent que l’Extrême Orient peut être considéré comme étant beaucoup plus moderne que l’Ouest, certaines publications tendant à établir une relation entre l’Islam et la modernité.   Les nouveaux développements en Iran sont à retenir.

Un autre pôle d’attraction s’offre à notre analyse, celui de la rationalité humaniste introduite par Jésus Christ et dont Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Kant, Sigmund Freud et plus tard Martin Luther King se feront les apôtres. Ce concept préconise l’avancement et la préservation de l’espèce humaine.

Quelle sera donc le nouveau mot d’ordre ? Le destin du monde repose sur nous de la nouvelle génération. Allons-nous prôner la survie de la rationalité absolue ou au contraire promettre l’expansion de la rationalité humaniste à son juste degré en vue de combattre la guerre sous toutes ses formes, d’éradiquer la famine de la face du monde et d’installer des gouvernements équitables et progressistes au bénéfice des classes opprimées ?

Alors mes chers confrères mettons-nous au travail pour créer un monde que Toussaint Louverture envisageait déjà en 1800: « avec le bonheur pour vos concitoyens et le bonheur pour l’humanité »

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