Mère Jah enseigne l’agroécologie aux enfants dans un centre éducatif au cœur du Bénin

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Fervente défenseure de l’environnement, c’est dans un espace naturel de quatre hectares au coeur de la forêt de Pahou, dans la commune de Ouidah au Bénin, que Mère Jah a fondé le Centre d’Eveil, d’Animation et de Stimulation pour Enfants (CEVASTE): un centre éducatif unique en son genre au Bénin. Cette sexagénaire d’origine Camerounaise au sourire contagieux, a quitté la Guadeloupe il y a bientôt 20 ans pour poser ses valises au Bénin où elle réside actuellement avec son époux. Ensemble, ils créent EcoloJah, une école primaire au sein du CEVASTE offrant la possibilité aux enfants défavorisés issus du milieu rural de s’épanouir à travers une approche différente de la scolarité mêlant histoire panafricaine et agroécologie.

Un jardin d’Eden au cœur du Bénin

A 25 kilomètres de Cotonou, capitale économique du Bénin, Mère Jah a construit son jardin d’Eden: un village écologique dotée d’une école ayant pour fondement l’agriculture biologique. Elle en a rêvé et c’est aujourd’hui réalité. Connue pour son engagement dans la communauté Rastafari, elle œuvre depuis longtemps pour le retour massif des Afro descendants sur le continent Africain à l’exemple de Marcus Garvey, pionnier du mouvement « Back To Africa » au 20e siècle. Le choix du Bénin, et plus particulièrement de la commune de Ouidah, n’est donc pas anodin puisqu’elle abritait autrefois l’un des principaux ports d’esclaves de la traite négrière transatlantique. Dans l’enceinte du CEVASTE que le couple crée en 1999, une école d’un nouveau genre voit simultanément le jour: EcoloJah, une école primaire alternative comptant une centaine d’élèves issus du milieu rural. En plus de l’enseignement classique du programme national du Bénin qui y est dispensé, l’accent est mis sur une transmission de valeurs clés, l’enseignement de l’histoire Panafricaine et la pratique d’activités telles que l’agroécologie (l’agriculture naturelle), la transformation agroalimentaire et l’artisanat d’art utilitaire.

Aujourd’hui la terre la plus fertile ce sont les enfants

Si l’éducation alternative n’est pas tout à fait nouvelle au Bénin, EcoloJah est bien la première école primaire du pays dans laquelle l’agriculture, l’écologie et le développement durable sont des disciplines à part entière au même titre que l’histoire ou les mathématiques. Selon Mère Jah, l’éducation alternative est aujourd’hui indispensable. Elle estime qu’il est temps pour les Africains de “sortir du modèle issu de la colonisation pour établir un nouveau modèle qui prendra racine dans leurs propres valeurs et répondra à leurs besoins.”

Revaloriser le métier d’agriculteur

Au Bénin, pays d’Afrique de l’Ouest de 9 millions d’habitants dont 60% vivent en zone rurale, l’agriculture joue un rôle majeur dans le développement économique. Malgré un climat favorable et des terres fertiles produisant une variété de produits vivriers tels que l’igname, le manioc ou le maïs, ce secteur fait face à de nombreux défis: le manque de formation des paysans, l’accès difficile à la terre et aux ressources, les enjeux écologiques et l’exode rurale.

En créant une école endogène, Mère Jah mesurait dès lors le rôle clé du cultivateur dans la société actuelle et l’importance de faire de l’agriculture biologique une discipline enseignée dès le bas âge. Les élèves d’EcoloJah, issus en majorité de milieux défavorisés ou en difficulté familiale, apprennent à cultiver leurs propres fruits et légumes, et à se nourrir essentiellement des produits de la Terre.

L’impact de cet enseignement sur ces enfants du secteur rural est phénoménal car en introduisant l’Agriculture biologique dans leur cursus scolaire cela réhabilite le métier le plus indispensable à l’humanité: celui de paysan. En valorisant le métier d’agriculteur, les enfants peuvent prendre conscience de l’importance de cette fonction et souhaiter à leur tour en faire leur métier dans l’avenir.

Un modèle alternatif qui porte ses fruit

Cette approche qui se veut complémentaire et non opposée à l’éducation classique, puisqu’elle intègre les disciplines du programme national, porte déjà ses fruits. “Plusieurs anciens élèves d’EcoloJah satisfait de leur expérience y ont par la suite inscrit leurs enfants” dit-elle. “Nos propres enfants et petits enfants sont eux aussi passés par cette école.” Elle ajoute que la spécificité de l’Ecolojah est « de viser non plus seulement à remplir la tête des élèves mais à produire des êtres s’aimant en tant qu’Africains, des humains «en conscience» ayant le sens de leur responsabilité quant au devenir de l’Afrique notre Terre Mère”. Aujourd’hui l’une des priorités c’est l’environnement. L’humanité a fait l’erreur de scier la branche sur laquelle on est tous assis qui est la nature.

L’Agroécologie, futur de l’agriculture en Afrique

À EcoloJah, l’accent est mis sur une agriculture 100% biologique, diversifiée et respectueuse de l’environnement. S’il est vrai que l’agroécologie est une approche plus adaptée aux enjeux climatiques actuels puisqu’elle va à l’encontre du modèle agricole industriel en privilégiant l’utilisation d’intrants naturels (à l’exemple du compost) à l’utilisation intensive d’engrais et de pesticides chimiques dans les exploitations agricoles, son impact social pourrait être encore plus grand si elle était davantage répandue en Afrique. Dans une étude récente publiée par l’organisme Anglais Global Justice Now (How Agroecology Can Feed Africa, 2015), l’agroécologie est définie comme un écosystème à part entière puisqu’elle englobe l’ensemble des techniques d’agriculture durable, les droits des agriculteurs, les aspects socioéconomiques et politiques de la chaine alimentaire et vise à optimiser la production agricole en protégeant les intérêts des paysans en priorité au lieu de ceux des multinationales. Selon les chercheurs, l’agroécologie peut augmenter la production, les opportunités d’emploi, la biodiversité agricole, diminuer les inégalités de genre, améliorer la santé, réduire le réchauffement climatique et nourrir toute l’Afrique.

L’agroécologie est l’un des moyens les plus efficaces pour atteindre l’autosuffisance alimentaire.

Un modèle économique basé sur une économie sociale

Dans l’immense jardin du CEVASTE, véritable laboratoire d’agroécologie que Mère Jah appelle familièrement les « cahiers champêtres » des élèves, sont cultivés une variété d’aliments de manière naturelle parmi lesquels des produits maraichers (laitue, carottes, betteraves, aubergines, choux, tomates, épinards, menthe, basilic) ; des tubercules (patates douces, tarots, ignames, manioc) ; ainsi que des fruits (noix de coco, oranges, citrons, mangues, noix de cajou, avocats) ; et des céréales (maïs doux et soja). Les aliments produits servent à la fois à alimenter la cantine de l’école ainsi que les personnes résidants au Centre (personnel, volontaires, et visiteurs). Ils sont également commercialisés à travers un réseau de distribution direct entre producteurs et consommateurs basé sur le principe des Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne (AMAP).

Les cultures maraichères représentent la majorité des aliments produits au Cevaste

Le CEVASTE abrite également une section de transformation agroalimentaire consistant en priorité à transformer le soja en lait, fromage et pâté ainsi qu’à produire des confitures de fruits. La commercialisation de légumes permet de financer les activités du Centre, y compris l’école, et constitue l’un des principaux moyens de subsistance de la famille Jah. A cela, viennent s’ajouter un atelier de production d’artisanat d’art utilitaire, l’organisation de pèlerinages culturels et historiques, de camps de jeunesse et des formations à la carte. Le modèle économique du Cevaste repose alors sur une économie intégrée, sociale et solidaire. Elle bénéficie par ailleurs du soutien de plusieurs donateurs dont la Fondation Espace Afrique.

Un rêve Panafricain

L’engagement de Mère Jah en faveur de l’éducation, la protection de l’environnement, le retour à la Terre, et la connaissance de l’histoire Panafricaine lui a valu une tribune sur la radio nationale Béninoise où elle anime une émission hebdomadaire. Bien que le centre attire de plus en plus de visiteurs venant du monde entier et que le nombre d’élèves est grandissant, Mère Jah reste consciente du chantier qu’il lui reste dans l’accomplissement de ce qu’elle qualifie de sa mission: “Faire du Cevaste un lieu de Vie, d’accueil et d’émulation de manière à influencer le reste de l’humanité à revenir à un mode de vie en harmonie avec la nature.” Et pour y arriver, elle souligne les nombreux défis qu’il lui reste à relever à savoir: l’optimisation du système solaire du Centre, l’amélioration des capacités de l’habitat, l’ouverture d’un second niveau à l’école dédié à l’entreprenariat en direction du secteur rural, la création de nouveaux ateliers ou encore l’achat d’un minibus pour les excursions des élèves, stagiaires et visiteurs. Mais elle ne s’arrête pas là. Son rêve ? Dupliquer ce modèle dans d’autres pays Africains. On lui souhaite bon vent.

SOURCE :https://femmeslumiere.com/histoires/collections/architectes-despoir/mere-jah-lagroecologie-enseignee-aux-enfants/

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