Me Jean-Henry Céant: UN AN DEJÀ

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 (18 Mars 2019 – 18 Mars 2020)

un texte de Me Jean-Henry Céant

Un an déjà depuis que, dans un contexte de crise politique aiguë, marquée par les révoltes populaires des 6 et 7 juillet 2018, j’ai répondu et assumé la fonction de Premier Ministre pour me mettre au service de mon pays . Venu de RENMEN AYITI, parti politique centré sur la lutte contre l’exclusion sociale, j’ai voulu faire appel à tous les secteurs de la nation, afin de créer les conditions d’un consensus national, capable d’apporter des solutions justes et appropriées aux problèmes de l’heure. Dans un État de droit, au sein d’une démocratie pluraliste, « Tout Moun Ladan’l ».

Je suis venu. J’ai vu. J’ai œuvré en vue de motiver les institutions administratives à répondre aux besoins d’un peuple assoiffé de justice et de paix. Fidèle à mes convictions patriotiques, je me suis impliqué à fond dans la diversité des actions à mener pour relever le défi de la résurrection de ce coin de terre et de son peuple. Interloqués par ma détermination citoyenne, certains ont même osé parler de coup d’État. Refusant de m’engager dans les voies d’impasse et de myopie traditionnelles, opposé aux dérives de la légitimité en guerre larvée ou ouverte contre la légalité, j’ai pris le parti de « démissionner en tant que chef du Gouvernement pour éviter à mon pays un imbroglio constitutionnel ». Aucune nostalgie, ni la haine mais plutôt galvanisé par la situation de déliquescence de mon pays qui en appelle à l’ardeur filiale de toutes ses filles et de tous ses fils.

Depuis, voilà un an de mon départ à aujourd’hui, le pays commun accélère sa course vers l’abîme. Les démarches de corrections et de changements, non soutenues, combattues par les forces de l’insanité économique et politique, sont restées lettres mortes. Du régime démocratique, il ne reste même plus le décalque. Des lois, que des incantations creuses. D’une situation de sinistrée sur le plan économique, Haïti, notre pays commun, prend définitivement une place exceptionnelle au rang dégradant des pays faillis.

La déraison politique, durant deux siècles, a eu raison de la glorieuse raison historique, entravant la marche de la nation vers la croissance et le développement. Nous voici, aujourd’hui, bien enfoncés dans une situation d’errance institutionnelle, aux dimensions et complexités inédites, qui dépassent en ampleur toutes celles subies au cours de notre évolution de peuple libre. Car, une démocratie étayée sur des archaïsmes, où le droit à tous les niveaux est en flagrante contradiction avec le devoir, où le mandat des élus est en désaccord avec l’espérance populaire en des conditions de vie meilleures, n’a qu’une issue : la déchéance.

Un an déjà, et voilà : s’étendant dans toute leur monstruosité, au quotidien de l’économique, du social et du politique, ces deux gangrènes majeures que sont l’insécurité et la corruption sont en passe de se constituer en normalités sociétales. Les procédés frauduleux relatifs au dossier Petro-Caribe comme l’atrophie des activités économiques, due au climat d’insécurité, en sont des témoignages éloquents, qui font bon ménage avec les fracassantes dénonciations non suivies d’actes forts, décisifs, aptes à réprimer la criminalité et enrayer les violences attentatoires à la stabilité et à la paix publique.

Je suis venu. J’ai vu. J’ai beaucoup appris. Par-dessus tout, j’ai appris à aimer encore plus mon pays, Haïti.

Un an déjà, que n’arrête pas de sonner l’heure ultime de l’union et du dialogue afin d’opérer la rupture avec la dégringolade historique et les agissements de l’État exclusiviste. Un an déjà, et depuis, s’impose le tragique constat du déclin progressif de l’économie, de l’insatisfaction des besoins sociaux, de l’extension de l’insécurité. Diagnostique que traduisent le déficit de la balance commerciale, l’augmentation du taux de chômage, le renforcement de l’assistanat, les menaces de famine, la dégradation systématique de l’environnement, l’émigration massive des jeunes. Un an déjà, pour dire haut et fort que le régime démocratique ne s’accommode, ni ne saurait s’accommoder de la perversion des institutions nationales mises au service de l’exploitation abusive de la sueur et du sang du peuple Haïtien. Un an déjà, et l’urgence demeure.

L’urgence est de changer de course par l’instauration d’un dialogue permanent, alimenté et structuré par les valeurs d’humanisme, de partage, de sacrifices, de responsabilité et de pluralisme démocratique. L’urgence est d’apprendre à questionner et à répondre aux défis du présent et du futur, en accord avec les exigences fondamentales de Droit à concrétiser dans l’intérêt de tous, sans exclusion. L’urgence est d’être une nation apprenante, ouverte sur les autres, prenant en main son développement social, économique et culturel. L’urgence est le choix entre les deux pôles de l’alternative: de sacrifier aux stéréotypes en prolongeant les traditions de gouvernance rétrograde ou à opter pour la rupture historique, garante du progrès, de la sécurité et de la paix pour tous.

Je suis venu, J’ai vu. Aujourd’hui, plus que jamais fidèle aux vertus d’amour pour ma patrie, j’assume le devoir de demander, à tous et à chacun, tant que nous sommes, citoyennes et citoyens, serviteurs d’Haïti, à quoi sert-il d’être Président ou Premier Ministre, ou simple fonctionnaire, si ce n’est pour affranchir le peuple des chaines du sous-développement et de l’indignité de la gouvernance insane?   

Un an déjà l’urgence s’aggrave et l’urgence s’accentue. Mais l’apocalypse annoncée avec le coronavirus ne pourra avoir lieu si nous sommes résolus à mener ce grand combat d’une énergie commune conçue dans le creuset du nationalisme sincère, désormais plus fort et plus profond que les ambitions individuelles, de classes, de castes ou d’ethnie   Haïti est une et nous devons rester soudés face à cette catastrophe qui s’annonce. Soyons forts ensemble et prenons le sublime engagement de dire non à notre égoïsme, nos divisions et nos luttes intestines.

Aujourd’hui, Je demande aux dirigeants du pays, ceux qui sont de bonne foi ou déterminés à voir poindre le soleil d’un changement pragmatique de la situation du peuple haïtien, de revoir : procédures, procédés et protocoles.

Per fas et Nefas, Haïti se lèvera !

Me Jean-Henry Céant, Avocat

Premier Ministre (2018-2019)

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