Haiti : un volcan qui ne dit pas son nom

03-17-2019
Nous sommes habitués au fracas du quotidien. Récurrents et clivants, ces bouleversements sont élevés au rang d’étalon. Ils permettent d’affirmer si un appareil gouvernemental bénéficie de la confiance de la population. Cependant, depuis le début du mois de mars un scénario vraisemblable, dictant une toute autre réalité, attise curiosité et intérêt. Depuis les ébullitions sociales du mois de février qui a failli catapulter monsieur Jovenel à mille lieux du palais national, un climat béat berce le pays. Plus de grandes mobilisations. On dirait que les verrous sont sautés. Toutefois, la lucidité mise à l’épreuve des grognes sociales nous enjoint de nous méfier de ce calme apparent. À se fier naïvement à cette réalité sophistiquée, de regrettables surprises risquent de nous ravir cette accalmie acquise au prix du soutien de certains États de la communauté internationale et de grandes instances internationales.
Au-delà de cette « stabilité » saupoudrée plane la misère structurelle d’une population dont les préoccupations sont jetées aux oubliettes. À tout moment, l’ire du peuple peut abattre les cartes du statu quo pour, qui sait, entreprendre l’acte final du grand ménage revendiqué par la majorité des citoyens. À ce stade, les 229 millions de dollars du FMI ne pourront rien tempérer ; les appels au dialogue de n’importe quel émissaire ne seront d’aucune vertu. Frantz Duval, dans son éditorial du 3 mars 2019, souligne à raison que la prédilection américaine est infidèle et transférable au successeur. Alors, Jovenel Moise qui, selon plus d’un, inhale une bouffée d’air de soulagement est en train de fumer son destin sur un tonneau à essence, car le prêt accordé par le FMI à Haïti n’est pas la potion magique qui fera taire les élans revendicatifs des Haïtiens. Au contraire, ce prêt pourra, à l’avenir, renouveler les crises sociales et politiques puisque, jusqu’à aujourd’hui, aucune vision claire n’est définie et l’administration de monsieur Moise n’inspire aucune confiance quant à la gestion des deniers publics.
Tandis que la débrouillardise gouvernementale continue de carburer sa caravane, la population, livrée à elle-même, assiste impuissante au cannibalisme. Sous le regard incrédule d’enfants, d’hommes et de femmes, des êtres humains sont calcinés et bouffés par d’autres êtres humains. Existe-t-il plus révoltant que cette barbarie qui descend l’Homme au stade primitif de son animalité ? Comment alors ne pas se résoudre à l’idée que les alliances forgées par la présidence ne peuvent pas contenir l’indignation populaire ? Qu’il s’agisse de ceux qui sont brulés ou de ceux qui consomment leur chair, ce sont des HOMMES. Ils ont des liens familiaux, amicaux et affectifs avec d’autres Hommes. Alors, comment arrive-t-il que des gens puissent cracher sur l’humanité d’autrui avec une telle aisance ? Comment atteindre aujourd’hui le fond de l’effroyable, au point où aucune vie ne compte en Haïti ? La réponse réside dans l’inconséquence de nos dirigeants, passés ou présents, qui ont toujours préféré traiter les Haïtiens comme des animaux. En conséquence, l’individu intègre ce statut et le reproduit dans ses rapports avec ses semblables.
Il semble que notre rapport au malséant est fusionnel. Sous le poids de nos malheurs, les manœuvres politiciennes se répètent, se perpétuent. Le Premier ministre est interpellé, séparément, par les deux branches du corps législatif. La Chambre des députés qui se donne la plus grande peine pour tenir une séance plénière ne rencontre aucune difficulté à réunir 70 signatures pour interpeller le numéro de la Primature. Que cache cette célérité, cette nouvelle détermination ? Déjà, le bruit court que l’une des deux séances d’interpellation sera soldée par un vote de censure. D’ailleurs, Gary Bodeau, président de la Chambre des députés, maitre supposé des officines, a déclaré que les jours du Premier ministre sont comptés. Quelle qu’en soit l’issue du vote notre siège numéro un au concert des pays les plus pauvres de l’hémisphère occidental sera préservé sans céder notre insigne de pays corrompu et inégalitaire.
La tête du Premier ministre est mise à prix, les torchons brulent entre les deux branches du Parlement, chaque groupe cherche à tirer son épingle du jeu. On continue à danser et à se déshabiller sur le volcan dont l’éruption peut nous prendre de court. En tout cas, le peuple trépasse, la caravane passe.
Walsonn Sanon