Pris en otage, Haïti se meurt. Agissons maintenant

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Tribune cosignée par des personnalités internationales et quelques chefs d’Etat (*)

EMBARGO : 1 er Janvier 2023

Les Africains réduits en esclavage sont arrivés il y a des siècles dans les Amériques. Dans la pire migration forcée de tous les temps, la traite transatlantique des esclaves a emmené certains de ces hommes, femmes et enfants à Kiskeya, également connue sous le nom d’Hispaniola, l’île que se partagent aujourd’hui Haïti et la République dominicaine dans la mer des Caraïbes.

Le 14 août 1791 dans la forêt de Bois Caïman, le prêtre vaudou Boukman organise une cérémonie. Les participants réduits en esclavage ont juré solennellement que la servitude serait condamnée, prêtant serment de se battre ou de mourir. Ils obéiront plus tard aux ordres de Toussaint Louverture dans la révolte orchestrée par le remarquable leader. Sa victoire contre l’un des pires crimes jamais commis contre l’humanité, a été chantée par de grands poètes comme Aimé Césaire.

Le 1er janvier 2023, la première république noire célèbre le 219e anniversaire de sa glorieuse indépendance. Pourtant, la Perle des Antilles se meurt.

Haïti a été obligé de payer une rançon à la France en compensation aux propriétaires d’esclaves français, sinon l’esclavage serait réimposé et Haïti envahi. En mai 2022, le New York Times a publié une série d’articles bien documentés intitulée «La Rançon : Les Milliards Perdus d’Haïti » [The Ransom: Haiti Lost Billions], qui raconte cette perfidie. Port-au-Prince a jusqu’à présent versé jusqu’à 115 milliards de dollars à la France. La mauvaise gouvernance, la corruption et les invasions s’ajoutent à un fardeau déjà insupportable pour le peuple haïtien. De plus, l’occupation militaire américaine, de 1915 à 1934, avait une grande banque de New York comme principal bailleur de fonds.

Haïti semble proche du naufrage. La situation sécuritaire est désastreuse. La famine touche près de cinq millions de personnes. Peu après le tremblement de terre de 2010, une épidémie de choléra importée par les casques bleus de l’ONU a éclaté en Haïti alors qu’aucun cas n’y avait été détecté depuis plus d’un siècle. Face à ces accusations, le Secrétaire général des Nations Unies de l’époque, Ban Kimoon, a eu le courage et l’intégrité de présenter des excuses officielles. Aujourd’hui, la recrudescence du choléra cause plus de morts. Le 21 décembre 2022, s’adressant au Conseil de sécurité, la Vice-Secrétaire générale des Nations Unies, Amina J. Mohammed, a déclaré qu’ “Haïti se trouve dans une crise qui s’aggrave, d’une ampleur et d’une complexité sans précédent, qui suscite de graves inquiétudes”. La police est soit débordée, soit complice. L’armée haïtienne, ce souvenir macoute pas si lointain, a été démantelée par la communauté internationale dans les années 1990. Les soldats démobilisés n’ont jamais été correctement réinsérés dans la société. Le système judiciaire est moribond. À ce jour, la communauté internationale n’a pu financer que moins de 20% des besoins humanitaires actuels en Haïti, alors qu’ailleurs dans le monde, des milliards de dollars affluent généreusement pour atténuer d’autres crises humanitaires.

Cependant, Haïti ne doit pas être considéré uniquement comme une histoire tragique et brutale. Le pays est doté d’une créativité magnifique et soutenu par un espoir remarquable. Haïti a toujours été culturellement brillant et intellectuellement stimulant. Les plus grandes tragédies, comme le tremblement de terre de 2010, n’ont pas ébranlé l’âme de ce pays étonnant et attachant. Comme l’intrépide femme haïtienne, Haïti reste étonnamment debout, et sa culture vibrante.

La communauté internationale, les organisations régionales, les universitaires, les médias, les communicateurs, le secteur privé, la bourgeoisie compradore haïtienne : tous ont une responsabilité envers Haïti. Les Haïtiens sont des gens très courageux. La communauté internationale a été appelée à intervenir et à combattre les gangs. À la lumière des échecs passés, on peut honnêtement se demander si une intervention militaire étrangère en Haïti apporterait une solution durable. Dans tous les cas, l’inertie n’est pas une option. Nous soutenons les citoyens haïtiens qui veulent la fin de l’anarchie et de la violence, qui veulent la justice. Nous lançons cet appel urgent : agissons maintenant, avec une nouvelle et authentique bienveillance, quels que soient les risques, et sans intentions géopolitiques individuelles. L’histoire ne sera pas tendre avec ceux qui resteront inactifs ou qui choisiront de regarder ailleurs. Ce serait de la non-assistance à un peuple en danger. Répondons à l’exhortation poétique de Jean Métellus. De son exil il y a quelques décennies, son poème était un beau cri, “Au pipirite chantant”. Sa complainte n’a pas pris une ride. C’est le plaidoyer du

« paysan haïtien qui au pipirite chantant,

méprise la mémoire et fabrique des projets

Il révoque le passé tressé par les fléaux et les fumées

              Et dès le point du jour il conte sa gloire sur les galeries fraîches

              des jeunes pousses»

Nous sommes aux côtés des Haïtiens. Agissons maintenant. Pour Haïti, pour l’humanité.

 (*) Signataires:

Adama Dieng, l’initiateur de cette tribune, est un ancien Secrétaire général adjoint des Nations Unies. Il a servi à l’ONU en tant qu’ancien Conseiller spécial pour la prévention du génocide et Greffier du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il est également un ancien membre du Conseil d’administration de l’ Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (IDEA).

Macky Sall, Président du Sénégal, Président de l’Union Africaine.

José Ramos-Horta, Président de la République démocratique du Timor-Leste ; corécipiendaire du prix Nobel de la paix en 1996.

Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union Africaine ; Ancien Premier Ministre du Tchad.

Alpha Oumar Konaré, ancien Président du Mali; ancien Président de la Commission de l’Union africaine; ancien Président de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Goodluck Ebele Azikiwe Jonathan, ancien Président du Nigéria; Médiateur de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Catherine Samba-Panza, ancien Chef d’Etat, République Centrafricaine.

La Très Honorable Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada; ancienne envoyée spéciale de l’UNESCO pour soutenir les efforts de reconstruction en Haïti; ancienne Chancelière de l’Université d’Ottawa; ancienne Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Phumzile Mlambo-Ngcuka, ancienne Vice-Présidente de l’Afrique du Sud ; ancienne Directrice exécutive d’ONU Femmes ; Ancienne coprésidente du Groupe des Hauts fonctionnaires d’ascendance africaine des Nations Unies (UNSAG)

Epsy Alejandra Campbell Barr, ancienne Vice-Présidente du Costa Rica ; Présidente du Forum permanent des personnes d’ascendance africaine.

Graça Machel, Présidente du conseil d’administration de la Fondation Graça Machel (Graça Machel Trust).

Miguel Ángel Moratinos, ancien Haut représentant de l’Alliance des civilisations des Nations Unies ; ancien Président en exercice de l’OSCE ; ancien ministre espagnol des Affaires étrangères et de la Coopération.

Sir Dennis Byron, ancien Président de la Cour de justice des Caraïbes ; ancien Président du Commonwealth Judicial Education Institute; ancien Président du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR); Président du Conseil de justice interne des Nations Unies.

Serge Letchimy, Président du Conseil exécutif de la Martinique et ancien membre de l’Assemblée nationale française.

Mujahid Alam (Général à la retraite), Directeur du Lawrence College, Ghora Gali, Murree, Pakistan.

Sonia Maria Barbosa Dias, Spécialiste de l’éducation, São Paulo, Brésil.

 Mbaranga Gasarabwe, ancienne Représentante spéciale adjoint de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) ; ancienne Coordonnatrice Résidente des Nations Unies au Mali; ancienne Sous-Secrétaire générale des Nations unies pour la sûreté et la sécurité.

Souleymane Bachir Diagne, Philosophe ; Directeur de l’Institut d’études africaines et professeur de français et de philosophie à l’Université de Columbia.

Andrew Thompson, Professeur d’histoire impériale mondiale à l’Université d’Oxford et professeur titulaire au Nuffield College d’Oxford.

Othman Mohamed, ancien Juge en chef de Tanzanie et président de la Commission d’enquête sur la mort de Dag Hammarskjöld.

Amadou Lamine Sall, Lauréat de l’édition 2018 du Prix Tchicaya U Tam’si de Poésie Africaine ; Lauréat en 1991 du Prix du rayonnement de la langue et de la littérature française, décerné par l’Académie française.

Sheila Walker, Ph. D., Auteure; Anthropologue culturelle et réalisatrice de documentaires; Directrice exécutive d’Afrodiaspora, Inc.

Jean-Victor Nkolo, ancien porte-parole de trois Présidents de l’Assemblée générale des Nations Unies ; A travaillé dans dix opérations de maintien de la paix de l’ONU, y compris en Haïti.

Euzhan Palcy, Réalisatrice, scénariste et productrice de films (Martinique, France).

Bacre Waly Ndiaye, Avocat au Barreau du Sénégal ; Ancien membre de la Commission Vérité et Justice en Haïti.

Willem Alves Dias, Monteur de films, Brésil. René Lake, Journaliste et Expert en développement international.

Doudou Diène, Juriste sénégalais; ancien Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée.

Ben Kioko, Juge, ancien Vice-Président de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples.

Aver-Dieng Ndaté, Avocate au Barreau de Genève, Vice-Présidente de la Conférence Africaine de la Paix.

Carol Christine Hilaria Pounder-Kone, alias CCH Pounder, Actrice et philanthrope ; Collectionneuse d’art; activiste du VIH/Sida ; co-fondatrice du musée Boribana à Dakar.

Akere Tabeng Muna, Avocat et Consultant juridique international sur la gouvernance et la lutte contre la corruption ; ancien président de l’Union Panafricaine des Avocats ; ancien président du Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine (ECOSOCC) ; ancien président du Groupe de personnalités éminentes du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP).

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