Le phénomène de dépigmentation de la peau en Afrique noire

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Au commencement, il y avait en Afrique Noire, des femmes au teint couleur de café grillé, des femmes couleur banane d’or, des femmes couleur terre des rizières. Aujourd’hui, lorsqu’on se promène dans la plupart des villes africaines, on remarque que les femmes au teint noir sont en voie de disparition. La majeure partie de nos sœurs pratiquant la dépigmentation de la peau communément appelée “tchatcho” au Mali ; « bojou » au Bénin, « xeesal » au Sénégal et « kobwakana » ou « kopakola » dans les deux Congo.
Il n’est donc pas étonnant de rencontrer des femmes à deux ou trois couleurs de peau. Les plus malchanceuses se retrouvent avec un visage brûlé au second degré, des tâches et points noirs sur le corps, des vergetures sur les seins, poitrine et cuisses…
Les motivations sociologiques profondes qui sous-tendent un tel phénomène, les multiples conséquences socioculturelles, économiques et surtout cliniques sont autant de prétextes qui ralentissent souvent la lutte contre la pratique de dépigmentation.
L’ampleur de ce nouveau phénomène de société nous a poussés à nous intéresser à la question.

Un phénomène né dans les années 60

Le phénomène de dépigmentation de la peau est apparu en Afrique à la fin des années 60. L’éclaircissement de la peau par différents procédés est pratiqué dans plusieurs régions d’Afrique, mais les principaux pays touchés par ce phénomène sont le Togo, le Sénégal, le Mali, le Congo (où beaucoup d’hommes s’éclaircissent la peau également) et l’Afrique du Sud.
Il semblerait que près de 90% des femmes qui utilisent des produits éclaircissants le font pour un ordre esthétique. Plusieurs personnes invoquent le fait que si les femmes s’éclaircissent la peau c’est pour l’unique raison que les femmes sont persuadées que les hommes préfèrent les femmes claires, un peu comme on avait l’habitude d’entendre que les hommes préfèrent les blondes.
C’est à se demander si cette pratique est saine…

La cause un traumatisme post-colonial?

Pour Ferdinand Ezembe, psychologue à Paris spécialisé dans la psychologie des communautés africaines : « Cette attitude des noires par rapport à la couleur de leur peau, procède d’un profond traumatisme post-colonial. Le blanc, symbolisé par sa carnation, reste inconsciemment un modèle supérieur. Pas étonnant dans ces conditions qu’un teint clair s’inscrive effectivement comme un puissant critère de valeur dans la majeure partie des sociétés africaines. D’ailleurs, ce sont les pays aux passés coloniaux les plus brutaux qui affichent le plus une attirance pour les peaux claires. Dans les deux actuels Congo, même les hommes s’y mettent et travaillent, comme leurs compagnes, à parfaire leur teint. Il faut même rajouter à cela, l’influence majeure du christianisme en Afrique. La représentation exclusivement blanche des grandes figures de la bible a forcément affecté les peuples noirs dans leur inconscient. Cette idée est renforcée par l’allégorie des couleurs dans l’univers chrétien, basée sur des oppositions entre le clair et l’obscur, les ténèbres et les cieux, où le noir s’oppose toujours à la pureté du blanc. Ce phénomène est si profond qu’il va même plus loin que le simple blanchiment de la peau. On remarque beaucoup de femmes Africaines qui se défrisent les cheveux, qui portent des perruques pour avoir les cheveux lisses comme les occidentaux. Le complexe est là. C’est un peu facile de dire qu’un noir qui se teint les cheveux en blond n’ait agi que par une simple mode. Ce qu’il y a, c’est que les africains n’assument pas des attitudes qui sont souvent inconscientes. Toutes les sociétés noires subissent le joug d’un culte de la blancheur. Les Africains ne se sont pas affranchis d’un poids colonial qui pèse de tout son poids sur leur propre identité ».

Pourquoi ce choix ?

Le choix de recourir à la dépigmentation par les femmes africaines n’est pas un choix libre. Car ces femmes subissent une forte influence. Si ce ne sont pas les amies, c’est le conjoint qui les poussent à acheter le premier tube. L’étude réalisée par l’Institut d’hygiène sociale (IHS) de la Médina au Sénégal remarque en effet que les femmes qui s’adonnent à la dépigmentation sont encouragées dans 74 % des cas par leurs amies qui « avaient une opinion favorable » au moment où 30% des conjoints ne manquent pas de se faire remarquer dans les rangs des personnes qui poussent à la pratique du « xessal ».

Toujours concernant les motivations, la présidente de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation (Aiida), le Dr Fatimata Ly souligne que « la principale motivation des femmes est d’ordre purement esthétique avec 89 % des cas ».
Elle ajoute que « certaines femmes (qui représentent 11 % des cas) avaient recours à cette pratique dans un but thérapeutique ». 41 % des femmes étaient souvent guidées par « un suivi de la mode ainsi que (par) l’imitation des relations ».
Un événement social comme le baptême ou le mariage « est souvent un facteur déclenchant (dans) 18 % des cas ».
Dr Ly renseigne aussi que “certaines femmes semblent également utiliser ces produits pour soigner des dermatoses comme l’acné”.

Cependant, la présidente d’AIIDA prévient que « les arguments souvent brandis comme l’acculturation ne sauraient être considérés comme des explications plausibles » du « xessal ». Les femmes interrogées déclaraient s’adonner à la pratique de l’éclaircissement « Léral » et non au blanchissement, le « xessal ». Le dermatologue, Assane Kane remarque un clivage chez les femmes lors de certaines cérémonies familiales, en citant l’exemple des baptêmes lors desquels « les femmes qui sont claires s’assoient ensemble et mettent les femmes de teint noir de côté ».

La responsabilité des hommes

Au Bénin, (surtout à Cotonou), ce sont les hommes qui tacitement ou directement encouragent le « bojou ». Certains le financent même, car ils veulent des femmes claires. C’est le cas d’un époux qui a commencé par faire la fugue. L’épouse qui cherche à savoir ce qui attire son homme à l’extérieur en dépit des soins qu’elle lui apporte, s’est retrouvée en face de la réponse suivante : « Vas faire « bojou » toi aussi, si tu veux que je reste à la maison ».
C’est un constat. La responsabilité des hommes vis-à-vis de cette pratique est évidente. Cette beauté fatale tant appréciée par les hommes est la raison d’être.
Ceci étant, les hommes ont la lourde responsabilité d’éradiquer le mal par une réorientation ou redéfinition de leurs critères objectifs ou subjectifs de beauté.
Mais le veulent-ils réellement ?
Les femmes accepteront-elles un jour que le noir soit la couleur de tous les jours ?

Selon les races, l’épaisseur de l’épiderme, la structure du derme et sa vascularisation, la distribution de la pigmentation, la richesse et la qualité des annexes (glandes sudorales, sébacées et phanères), la densité des poils et l’équilibres écologiques de surface varient considérablement. D’où l’importance des paramètres sociaux, environnementaux et dermatologiques dans la couleur de chaque individu.
Si la peau humaine possède ces qualités universellement reconnues, l’on se pose la question de savoir pourquoi de nos jours, des individus désirent-ils à la modifier au risque de rompre cet équilibre naturel si indispensable ?

Les procédés

Selon Madame Banga, Esthéticienne Cosméticienne au centre de formation en Esthétique Elysée Marbeuf de Yaoundé au Cameroun, plusieurs procédés sont utilisés pour s’éclaircir la peau : du bricolage aux méthodes les plus raffinées. Généralement, les femmes et de plus en plus les hommes, se rabattent sur les produits bon marché compte tenu du faible revenu des habitants.
Ces produits qui n’ont pas la même composition et les mêmes effets que les produits originaux imités occupent une place non négligeable dans les activités économiques.
Les utilisatrices se procurent ces produits sur les marchés où ils circulent sans aucun contrôle et sont proposés par des revendeurs dépourvus de toute compétence officinale.
Les cosmétiques utilisés contiennent des corticoïdes (anti-inflammatoire), hydroquinone (antiseptique) détournés des circuits pharmaceutiques officiels, des crèmes éclaircissantes importées par divers réseaux parallèles, à la composition rarement précisée, et des préparations artisanales confectionnées sur place par mélanges comprenant plusieurs ingrédients (eau de javel, sels de mercure, etc.).
Les utilisatrices recourent souvent à plusieurs produits et en changent dans le temps.

En réalité, ce sont des produits à la qualité douteuse. Ils proviennent généralement d’Asie du Sud-Est, du Nigeria, d’Afrique du Sud et d’Europe. Leur composition chimique, aux dires des esthéticiennes ne respecte pas les normes.

L’hydroquinone – substance qui colorie la peau – est supérieure au seuil tolérable de 2 %.
Le quinacore, un produit destiné à soigner les rhumatismes est aussi utilisé. La particularité de ce produit, est l’effet secondaire produit. Il blanchit la peau du patient. Des femmes se font aussi injecter du quinacore, pour obtenir une peau claire harmonisée.
Pourtant, estiment les spécialistes, toutes ces pratiques sont très dangereuses pour la santé. L’injection de quinacore blanchit la peau certes, mais de sources médicales, il affaiblit le système immunitaire, au point de le rendre vulnérable aux agressions externes. Même les plus bénignes.

L’utilisation régulière des corticoïdes favorise les mycoses (maladies de la peau dues aux champignons). « A la longue, la peau devient hypersensible, elle dégage une odeur de poisson frais ».
Pire nous confie une esthéticienne, la destruction de la mélanine, cette protection naturelle contre les rayons X du soleil peut être fatale. Privée ainsi de vitamine D, la peau est vulnérable à toutes les agressions solaires.
Voilà qui, selon Madame Banga ouvre la voie au cancer de la peau, voire aux leucémies (les cancers de sang).
La cicatrisation des blessures devient compliquée, ce qui peut être fatale après une opération chirurgicale.

Dépigmentation des stars congolaises

Avec l’avènement du mouvement de la SAPE (Société Anonyme des Personnes Elégantes), la dépigmentation des stars congolaises a encore connu une forte propension. Mais depuis un certain temps, avec la prise de conscience des conséquences néfastes que cette dépigmentation engendre ; cette beauté que nous pouvons qualifier d’accessoire est de plus en plus rejetée par les jeunes actuels.

Complexe d’infériorité ?

Toute personne de race noire qui se dépigmente la peau est un grand complexé, qui a complètement honte d’être né noir quand bien même personne au monde ne choisit son lieu de naissance, ses parents biologiques, sa couleur de peau et surtout son sexe. Il serait vraiment temps que les africains et particulièrement nos sœurs africaines se reprennent et soient fières de leur peau afin de mieux revendiquer leur identité culturelle.
Tout est devenu matière à imitation sans souci de sélection préalable.
Nous devons apprendre à ne puiser chez l’autre que ce qui nous paraît utile à notre développement.

Si cela n’est pas, nous nous acheminons vers une auto-extermination de la race noire. A une crise d’identité et à la déperdition des mœurs. Aujourd’hui, l’ africain n’a plus de repères pour s’orienter. Tous nos actes et pensées sont singés, mimés sur l’Occident et l’Amérique.

Il est clair que l’intérêt d’être noir sur la terre des hommes existe, il appartient à chacun d’engager une recherche personnelle afin de se découvrir c’est-à-dire de savoir pourquoi il est noir.
Pour tout dire, la dépigmentation de la peau soit-elle à outrance ou pas est une véritable aliénation culturelle qui mérite d’être combattue avec beaucoup d’énergie par le biais de l’éducation et la religion.

Toujours est-il qu’il appartient aux parents, aux enseignants et aux hommes de Dieu d’apprendre aux jeunes noirs à s’aimer tels qu’ils sont, de façon à éviter cette gratuite crise d’identité. Il convient en tout cas de ne pas se laisser influencer par un complexe ou un sentiment d’infériorité qui n’a aucune raison d’être. Il est tout à fait déplacé d’associer de quelque manière que ce soit la notion du laid ou du beau avec le noir ou le blanc.

Dr TUMBA Tutu-De-Mukose

SOURCE: http://www.grioo.com/info3019.html

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