DANGER DE LA BONNE INTENTION ET D’UNE FORME DU REFUS DU « COLLECTIF »

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Je viens de lire un article¹ sur cette même plateforme qui explique comment un même mode opératoire et un même état d’esprit ne peut que reproduire, engendrer et prolonger, empirer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui en Haïti. De quel mode opératoire parle-t-on ?

Moi laminaire²

Cette manière, par exemple, de procéder d’un individu faisant lui-même, tout seul, des propositions de sortie de crise, fait justement partie, selon moi, du problème posé du même. De celui de la méthode.

De celui qui fait poser la question de savoir si « la fin justifie les moyens » ou si « la fin ne vaut, en fait, que ce que valent les moyens » ? Ou s’il s’agit, par exemple, de réussir (ou d’échouer) avec ou sans le collectif, sans la population  ? Et, cette question est au cœur des pratiques locales haïtiennes qui fragilisent, pourrissent le corps social haïtien, distordent le lien et le liant social.

Nous sommes tous, individuellement, marqué par cette éducation scolaire et familiale, dans cette société dominée par cette logique de la performance individuelle, à rentrer dans cette dynamique. Je me suis laissé aller aussi, une fois, deux fois, dans ce schéma dominant du « moitrinaire ». Même si, ce n’est pas le seul péché de cette sorte de proposition. Puisqu’il faut encore regarder le fond, le contenu de la chose.

Le travail d’attendrissement et de ramollissement des esprits

En plus, les médias, qui ne sont en rien des saints dans notre société par leur manipulation de l’affect, des émotions, prennent le malin plaisir d’encourager et de renforcer cette tendance au vedettariat et au « one man show » et lui donne le doux nom de « leadership », d’« influenceur ».

Et, nos soit-disant organisations et nos comités, nos conseils d’administration sont autant des structures de faire semblant pour ruser avec l’esprit et la pratique démocratique véritable.

Donc, sur cette proposition, je m’attache d’abord sur la forme. Et je demande si un individu, aussi brillant qu’il soit, peut-il raisonnablement se mettre en tête qu’il peut, à lui seul, proposer une solution de sortie dans la situation actuelle ? Fût-il un spécialiste de la cybernétique ?

Voilà pourtant près de trois (3) ans déjà, que des citoyennes et des citoyens et des organisations de la société civile se sont investis dans une initiative de Montana avec un objectif pourtant déclaré de trouver « une solution haïtienne à la crise ». Que leur reproche t-on de n’avoir pas essayer d’impliquer autant des nationaux que des haïtiens de la diaspora ?

Cette façon de procéder, qui ne fait pas de place à la concertation collective, à la pédagogie de la méthode démocratique, laisse de la place aux dérives autoritaires habituelles. Et renforce l’idée dominante du besoin et de la demande de satrape tropical pour résoudre le problème du pays. Le besoin et la demande rétrograde de dictature s’incruste dans ce schéma là et engage pleins de promoteurs parmi les nostalgiques des régimes passées.

Encore qu’il faudrait préciser la nature de cette dictature. Si elle serait bourgeoise, populaire, prolétarienne ? Certains concitoyens-nes, fier-e-s et satisfait-e-s d’eux-mêmes, s’empressent de dire, disent vitement mais béatement : « la dictature des lois ». Mais des lois injustes socialement mèneraient encore à l’Haiti d’aujourd’hui de l’apartheid.

Nous avons pleins d’exemples de ce type. Non seulement à la tête du pays. Mais, partout dans nos organisations, dans les institutions publiques, dans les entreprises privées, où le plus souvent ce sont les narcissiques qui dominent qui croient avoir raison et préséance en tout et sur tout, et contre tous et tout le monde.

Récemment encore, Léopold Berlanger, président d’un « Conseil » électoral provisoire de plusieurs membres, s’est arrogé le droit de déclarer que le CEP n’était pas lié à l’obligation de tenir compte des recommandations du CIEVE. Comment cela ? Expliquez-nous cette position de l’individu ? Dans quel intérêt ?

Mais bon ! On connaît la suite et nous vivons actuellement les conséquences de cette pratique du « un » contre « tous » qui se présente sous la forme morale du « un » pour « tous » jusqu’à ce que cela tourne mal. Mais, mal toujours pour la population, bien sûr !

La nécessité impérieuse d’une heuristique nouvelle

Donc, aujourd’hui, plus qu’hier, et moins que demain, nous avons besoin de montrer à notre population, aux jeunes encore sains de la génération qui s’en vient, que le collectif doit primer sur l’individu. Que ceci est un imperium majeur. Que cet impératif doit s’appliquer déjà, depuis dans les premiers efforts de réflexion et de concertation sur des problèmes qui concernent la collectivité.

Il ne suffit pas de le dire. Encore il faudrait l’exemple dans l’appui des initiatives, même imparfaites, qui ont impliqués, dans un processus démocratique large, des organisations de la société civile ayant un véritable ancrage populaire et une histoire de lutte pour des revendications sociales.

C’est un effort nécessaire pour vraiment entamer la véritable rupture d’avec les schémas anciens. La nécessité d’une heuristique³ nouvelle doit commencer ici⁴.

Du rôle politique de la mémoire

Un dernier mot sur cette proposition et sur bien d’autres qui pêchent au même niveau. Comment prétendre proposer des solutions durables et adaptées en faisant l’économie de l’histoire et de la mémoire ? Comment faire des propositions de solutions en ne tenant pas compte de l’origine, même récente, de ce cette montée en puissance des gangs armés qui est leur instrumentalisation et de leur utilisation domestique par le pouvoir en place contre les populations civiles revendicatives ?

Donc, deux points à retenir :

1) La recherche de solutions doit être une occasion de faire de la pédagogie pour et avec la population. Se souvenir de Paolo Frere et de sa « pédagogie des opprimés » ;

2) Se rappeler du rôle politique de la mémoire et de la méthode historique. On ne résout pas un problème sans tenir compte de son origine (politique, sociale, culturelle) et de son lieu d’alimentation.

Jean Medy

¹https://ayibopost.com/opinion-exclure-le-peuple-le-retour-du-meme/

²Laminaire. (nom féminin). Algue marine brune aux feuilles en forme de longs rubans aplatis.

³ Heuristique : (nom féminin). Partie de la science qui a pour objet les procédures de recherche et de découverte.

Lire aussi l’article suivant :

Et l’après de ce grand bêtisier national?

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