« Le temps des retrouvailles »

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Deux cent dix-sept ans de tâtonnements et d’errements fatidiques nous ont conduits tout normalement à ce carrefour de misère et de désolation.

Les causes inhérentes à notre déchéance sont connues de tous car nous ne manquons pas d’observateurs et d’analystes aux connaissances les plus pointues.

Notre bilan au fil des siècles nous vaut d’être aujourd’hui la risée du monde entier. L’aide au sous-développement dont nous sommes les tristes bénéficiaires se révèle dans toute sa laideur et s’apparente à une lucrative industrie, hélas, celle de la misère au profit des prédateurs. Notre incapacité de prendre en main notre destin n’est un secret pour personne et fait la une des journaux à travers le monde.

Nombreux, trop nombreux sont ceux qui ont déjà perdu tout espoir. Le pays est foutu disent-ils, oubliant qu’il nous a fallu trois siècles de lutte pour parvenir à la geste glorieuse de mil huit cent quatre, qui fit de nous le phare de la race.

À ceux-là, nous disons et répétons comme nous le faisons depuis toujours, que nous avons perdu bien des batailles mais, la victoire finale, celle de la rédemption collective se trouve à portée de la main, encore faut-il la mériter en mettant un terme à nos querelles de clocher contre-productives et sans grandeur.

Nous déplorons avec raison les conséquences du terrible séisme du douze janvier deux mille dix. Des centaines de milliers de morts, sinon davantage de handicapés physiques et mentaux difficiles à inventorier et à secourir, la tâche se révèle titanesque, extrêmement difficile mais, certainement pas impossible.

« Les mêmes causes, dans les mêmes conditions produisent les mêmes effets » nous a appris le grand Albert Einstein et compte tenu de la grande diffusion des connaissances, tout le monde le sait aujourd’hui. Il n’y a donc pas de leçon à faire à qui que ce soit.

Toutefois, il n’est pas superflu de rappeler à tous et chacun, la profonde vérité à l’effet qu’une famille divisée s’affaiblit et finit par disparaître.

La refondation et la reconstruction de notre Haïti demeurent possibles et pour ce faire, nous devons reconnaître que nous avons erré souvent et trop longtemps dans la gouvernance de la res publica. Nous nous devons de faire preuve d’humilité envers nous-mêmes et les autres, écartant toute démarche manichéenne, afin de diagnostiquer de manière rationnelle et objective nos failles et nos dérives, et réaliser honnêtement que les fondements de notre société sont à revoir.

Nous devons nous remettre sérieusement en question, car c’est l’homme qui façonne son environnement – vérité de la palisse – s’il en est. Nous clamons haut et fort que nous voulons établir la démocratie chez nous et il se trouve que personne n’est dupe, nous ne faisons rien pour y parvenir, bien au contraire, nous nous arrangeons gouvernement après gouvernement pour que cela ne se produise point.

Notre pouvoir judiciaire réduit à une peau de chagrin, le taux d’analphabétisme maintenu à dessein depuis toutes ces années, le taux de chômage effarant qui maintient nos frères et sœurs dans cet état déshumanisant de zombis plus ou moins assistés, notre indifférence face aux misères multiformes qui nous entourent en disent long quant à notre état d’âme en général.

Pour paraphraser l’autre, nous dirons que « nous sommes condamnés à réussir » pour éviter la faillite nationale qui nous pend au nez, mais pour que cela ne soit pas un autre vœu pieux, il nous faut prendre le taureau par les cornes et nous atteler à la besogne longue et ardue qui est d’une part de:

Faire le bilan de l’existant sans faux semblant.

Tout mettre en œuvre pour la création des millions d’emplois indispensables à toute velléité de développement durable.

Encourager l’entrepreneuriat et l’esprit d’initiative personnelle au niveau des micros et des petites entreprises.

Divorcer d’avec cette mentalité de mendiant international.

« Ne donne pas un poisson à ton voisin, apprends-lui à pêcher » dixit Confucius.

Concevoir le substrat idéologique de notre système éducatif dans la perspective de faire revivre l’âme haïtienne par la formation adéquate des générations à venir.

Et d’autre part, nous évertuer à réaliser l’incontournable réforme en profondeur de notre cadre normatif, savoir : le renouvellement de notre charte fondamentale, cette fois-ci, de manière scientifique et à travers le dialogue national ou états généraux préconisés par plus d’un et avec raison, la refonte de nos codes désuets et obsolètes afin de les adapter à nos réalités d’aujourd’hui, enfin garantir la sécurité pour tous, sans exclusive ni réserve.

Tout ceci en conformité avec les leçons toujours ignorées de nos célèbres « griots » : Anténor Firmin, Jean Price Mars, Jacques Roumain, Jacques Stéphen Alexis, Klébert G. Jacob, pour ne citer que ceux-là, sans oublier l’illustre paysan de Verrettes, son excellence le président Dumarsais Estimé qui fut arrêté dans sa course glorieuse par le pronunciamiento de « kanson fè » et nous y voila!

Oui la refondation et la reconstruction de notre Haïti demeurent possibles et elles se feront à condition que revienne :

Le temps des retrouvailles

De la famille haïtienne

Réconciliée avec elle-même

À l’ombre du grand Mapou

Sous le feuillage protecteur

Qui calme et qui apaise.

Me Serge H. Moïse av.

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