Lettre ouverte au Core Group

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02-13-2019

Membre originaire de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), Haïti appartient, au prix de ses luttes et de sa souveraineté d’Etat, au concert des nations. Ce faisant,elle accueille des missions diplomatiques comme le veulent les Relations internationales. Toutefois, les missions diplomatiques accréditées en Haïtidépassent incessamment leurs limites réglementaires pour s’immiscer dans les Affaires internes du pays, au mépris des conventions et traités internationaux.

Indigné par les torts causés par la communauté internationale en Haïti, par le truchement de Représentations spéciales et d’Ambassades, je réponds ici à la note du Core Group sur la crise aigüe que connait le pays ces derniers jours.Je n’éprouve aucun plaisir à répondre à l’indécence de diplomates qui s’érigent en faiseurs de roi et en donneurs de leçon en Haïti, depuis plusieurs décennies. Loin de moi l’intention d’alimenter une polémique avec le groupe quis’est inventé une légitimité ambivalente. Mais me taire devant vos multiples sorties inadéquates serait une lèse-citoyenneté.

L’histoire récente du pays montre combien la main invisible, mais connue de tous, que vous êtes engendre chaos et instabilité en Haïti. Sous le masque de la coopérationet de la démocratie, votre main de fer dans le gant de velours de la duplicité propulse à la tête du pays des dirigeants corrompus et des narco trafiquants, dont insouciance et incompétence forment le lot de leurs défauts. M’adresser àvous n’est nullement un trait de naïveté, car je sais pertinemment que les pays n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Vous avez des intérêts en Haïti.Vous les défendez bec et ongles, au mépris de la dignité humaine, de la Chartede l’ONU, de la Constitution haïtienne et la souveraineté d’Haïti. La vie desgens vous importe peu. Le lot de victimes qui s’amoncèlent tous les jours enHaïti vous laisse indifférent, que ce soit dans une Ambassade ou dans lesmanifestations populaires.

À travers votre communiqué, vous dites noter les revendications exprimées lors des contestations du 7 février, déplorer des actes de violence, vous saluez le professionnalisme de la PNH, vous lancez un appel aux acteurs de la société haïtienne et des pouvoirs publics en vue d’un dialogue constructif et inclusif, vous nous rappelez qu’en démocratie le changement s’opère par les urnes et nous invitezau développement de la démocratie. C’est à la fois votre incohérence detoujours ainsi que votre connaissance superficielle de la profondeur de lacrise actuelle que vous mettez à nu. Inviter au dialogue parait, à première vue, être une initiative intéressante. Dans le fond, le dialogue s’apparente àun vœu pieux, considérant l’étendue de la crise. Vous n’avez peut-être pas conscience que la crise généralisée qui sévit dans le pays est liée à vos actions antérieures. Le président pour lequel vous n’avez de cesser de prendre position n’est pas à la hauteur des défis de l’heure. C’est le président que vous avez imposé au pays depuis deux ans qui n’a jamais été en mesure de créer la confiance nécessaire au dialogue auquel vous invitez. Son incapacité envenime la crise sociale protéiforme et conduit à une crise économique aigüe.

Sur un ton moralisateur, vous condamnez les pertes en vies humaines et les dégâts matériels enregistrés lors des revendications populaires du 7 février. Savez-vous que ces heurts sont la cause de la faillite des responsables politiques et du rôle que vous jouez toujours dans leur choix ? Les manquements des gouvernants ont contraint la population à gagner les rues, car elle n’a confiance que dans sa mobilisation. Vous avez juré allégeance à un président qui se tait sur la misère de son peuple et sur ses revendications.Vous êtes le rempart d’un président qui, malgré son incapacité à engager les réformes structurelles devant améliorer les conditions de vie de la population, veut se maintenir au pouvoir. Est-ce cela votre conception de la démocratie ? Vos pays respectifs ont reconnu un leader autoproclamé, Juan Guaido, comme président intérimaire du Venezuela. En outre, en Haïti vous prêchez les vertus de la démocratie en rappelant que le changement s’opère par les urnes. Quelle ironie ! Vous vous entêtez à préserver vos privilèges auprès du président en crachant sur les revendications légitimes du peuple haïtien. En effet, vous n’éprouvez aucune gêne à soutenir un président affaibli, mis en accusation dans un procès pour corruption. Pris dans ce contexte, la démocratie est un leurre. Au lieu de faire la leçon à tous, vous seriez plus sages si vous vous évertuez à faire la lecture de la conjoncture au président de la République, atteint de surdité et de cécité politiques. Avoir les oreilles d’un président octroie ses privilèges, au moins. Le dialogue constructif et inclusif auquel vous invitez les acteurs de la société haïtienne et des pouvoirs publics devrait d’abord et avant tout être tenu entre vous et monsieur Jovenel Moise pour lui dire qu’aucune solution viable ne peut sortir de son action politique et qu’il doit démissionner. Ainsi, le Core Groupe jouerait le rôle salutaire de facilitateur.

La communauté internationale, avec vous, ses antennes locales, continue de préférer des individus aux principes. Votre mépris du peuple haïtien s’actualise, se renouvelle. Vous n’êtes guère touchés par la décote de la gourde. Au contraire, vous vous en réjouissez, eu égard au taux de change du consulat américain qui s’empresse à le fixer à 110%. Au peloton de tête de cette communauté se trouvent les États-Unis d’Amérique, la première puissance économique du monde. Or, à moins de deux heures du grand cacique de l’impérialisme se trouve le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental. Quelle fierté peuvent tirer les États-Unis à clamer qu’Haïti est un pays frère ? L’échec est évidemment celui d’Haïti et des Haïtiens. Cependant, la communauté internationale se trouve au rang des causes principales.

Il est des occasions à ne jamais rater : l’occasion de se prononcer quand la conjoncture l’exige et l’opportunité de se taire quand la sagesse le commande. Vous avez raté l’occasion de vous taire récemment. Vous pouvez vous rattraper par modestie. Nous sommes au bord de la guerre civile. Des zones marginalisées de la capitale ont été alimentées en armes, pendant longtemps, avec la grande complicité de la Minustah et l’incurie de l’élite gouvernante. La population civile est déterminée, le pire est imminent. Vous vous contenterez à défendre votre président ou l’inviterez-vous à éviter ce chaos au pays ? Vous avez, encore une fois, l’occasion de prendre parti pour l’humanité. Ne vous en dérobez pas !

Walsonn Sanon
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