Les enjeux du dialogue pour le pacte de gouvernabilité

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« ici, vivre c’est dompter les chutes. La ville est un chaudron et il faut viser l’écume pour ne pas aller racler le fond »         

Yanick Lahens

Le pays patauge dans un marasme à peine croyable. Plus les jours passent, plus le citoyen se méfie de ses concitoyens. Chacun cherche à frayer son propre chemin, au péril de l’intérêt collectif. Les gouvernants sont réduits au rôle de spectateurs impuissants de la débâcle nationale. Pour reprendre l’écrivaine Yanick Lahens, « ici, vivre c’est dompter les chutes. La ville est un chaudron et il faut viser l’écume pour ne pas aller racler le fond ». Devant ce tableau sombre et sinistre, des voix se sont élevées pour proposer le dialogue comme ultime levier de sortie de crise. En effet, le Premier ministre Jean Henry Céant s’est vu confier, par le président de la République, les rênes du dialogue national devant aboutir à un pacte de gouvernabilité. Bien qu’il soit lancé officiellement le 22 janvier, le dialogue met déjà à nu des dissensions internes inavouables. Bref ! Pour mener véritablement le dialogue, comment s’y prendre ?

Deux étapes cruciales (la consultation et le dialogue) devraient conduire à un accord politique susceptible de favoriser le modus vivendi qui nous fait défaut depuis plus d’un bicentenaire. Dommage ! Ces préliminaires n’ont pas été observés dans leur dimension pleine et entière. D’entrée de jeu, le modus operandi tourne en boulets aux pieds du locataire de la Primature qui, certes, déploie des efforts considérables afin de mener ce projet de consensus vital, mais rencontre des obstacles là où il devrait jouir de soutien inconditionnel. Alors, désireux d’abattre la besogne, le Premier ministre doit revoir son plan initial.

S’il est un soutien sans lequel monsieur Céant ne peut cheminer vers la conduite efficace du dialogue, c’est celui du président. Or, le président joue au tacticien au lieu d’accompagner le Premier ministre. Il n’a pas pu s’empêcher de critiquer ouvertement le pilotage du dialogue. Tandis qu’il avait donné à monsieur Céant le mandat de conduire le processus, il a, à la grande surprise générale, fait choix de deux alliés, Gabriel Fortuné et Josué Pierre Louis, comme nouveaux émissaires de dialogue. De là, le double jeu du premier Mandataire de la Nation devient translucide, ce qui risque de compromettre à la fois le dialogue et le pacte de gouvernabilité. Malgré ce double jeu, le président est pris entre deux feux : les États généraux sectoriels de la nation et le dialogue en vue du pacte de gouvernabilité. Les exigences des États généraux ne sont pas celles du pacte de gouvernabilité. De plus, ces deux initiatives s’opposent en intérêt.  Tout compte fait, les options du président de la République sont limitées : persister dans ses manœuvres politiciennes, s’engager corps et âme dans le dialogue, décider d’un moratoire sur les États généraux ou les maintenir. Quoi qu’il en soit, il doit s’ériger en artisan de consensus. Au carrefour où nous nous trouvons, le consensus entre tout le corps politique parait être le sacrifice que chacun devrait consentir. À l’inverse, l’effondrement sera total, fatal et irréversible.

Évidemment, le processus est vicié à la base. La sincérité préalable a été absente du menu. Mais, cela ne doit servir d’excuses à qui que ce soit : la société civile, l’opposition, les pouvoirs publics, le secteur privé des affaires, etc.  Chacun doit y voir une question de destin collectif. Le devoir de l’un n’est pas forcément celui de l’autre. Le président, par exemple, doit transcender ses velléités à contrôler le dialogue à tout prix, œuvrer dans le sens de la bonne marche des institutions étatiques et de la paix publique. Le Premier ministre, quant à lui, doit s’évertuer à rencontrer tous les acteurs de la vie nationale, à quelque titre qu’ils soient, indépendamment des clivages et des différends qui puissent le séparer de certains d’entre eux. L’intérêt public doit avoir le primat de ses actions !  

L’opposition, de son côté, a une grande opportunité de montrer à la nation entière qu’elle est du côté de la démocratie, véritablement. Il lui incombe d’agir de manière à ce que le changement positif de l’ordre des choses soit une réalité et de montrer illico qu’elle nest pas la réunion des protagonistes du chaos, comme le prétendent plus d’un. Elle doit prendre part aux consultations, au dialogue et à la conclusion du pacte de gouvernabilité, plutôt que de se retrancher derrière des positions qui ne servent que les egos de quelques-uns.  Refuser le dialogue est assimilable au refus de laisser triompher l’intérêt général sur les avantages personnels. De même, elle doit s’engager dans une démarche d’ouverture en lieu et place d’actions dont le vice sera de la confiner dans le conjoncturel. Sinon, elle ne sera jamais en mesure d’adresser les problèmes structurels du peuple haïtien et de proposer une alternative.

Comme tous les acteurs de la vie nationale, le secteur privé des affaires gagnera à s’investir dans ce dialogue. Les chiffres alarmants de l’économie qui clignotent sous nos yeux tous les jours continuent de faire du secteur privé des affaires la cible de la colère populaire. En effet, tout ce qui peut servir de tremplin à une gouvernabilité alternative est dans l’intérêt de tous.

Le dialogue ne dispose d’aucun pouvoir magique en soi. Il n’est qu’une des étapes du grand marathon de changement. L’engagement réel des acteurs peut lui redonner la vertu qui est la sienne.  À chacun d’y mettre du sien, de son patriotisme. Dans le cas contraire, nous serons les seuls commanditaires du pire.

Walsonn Sanon, Auteur et Contributeur de Triboland


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