L’histoire secrète d’Haïti réclame le remboursement des dettes qui lui sont dues

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Par Raymond Joseph

« Haïti semble être maudit », écrit Le Monde, dans un éditorial deux jours après l’assassinat du président Jovenel Moïse. « C’est un État en déroute », a ajouté l’auguste quotidien parisien. Cela ne me surprend pas. Haïti n’attire l’attention du monde qu’en cas de catastrophes majeures, comme le tremblement de terre qui, le 12 janvier 2010, a détruit 80% de la capitale, Port-au-Prince, et certaines communautés jusqu’à 35 miles de distance.

À l’époque, pas moins d’une figure que le ministre évangélique protestant, le révérend Pat Robertson, a déclaré que la catastrophe était la « punition » de Dieu pour les Haïtiens pour « le pacte qui a été signé avec le diable pour obtenir leur indépendance ». Apparemment, il parlait de la cérémonie vaudou qui a lancé notre lutte pour l’indépendance. Peu importe que les Écritures disent que Dieu visite les transgressions des parents seulement aux troisième et quatrième générations. Et que notre cause était juste.

Plus de deux siècles après notre victoire épique sur l’armée française de Napoléon par l’armée ragtag d’anciens esclaves, Haïti cherche toujours à racheter son pari héroïque. La première République noire à déclarer son indépendance — la date était le 1er janvier 1804 — Haïti était la deuxième nation indépendante de l’hémisphère occidental, après les États-Unis seulement. Pourtant, Haïti a dû attendre que le président Abraham Lincoln soit reconnu par Washington.

Les historiens n’ont pas encore complètement abordé le complot visant à détruire Haïti qui a commencé peu après l’indépendance. Les puissances mondiales de l’époque ont décrété un embargo sur la nouvelle nation, la privant ainsi du commerce international. À la demande du ministre des Affaires étrangères de Bonaparte, Charles-Maurice Périgord, en 1806, les États-Unis vont plus loin en décrétant un blocus d’Haïti. La lettre de Périgord à son envoyé à Washington enregistre la perfidie.

« Le gouvernement fédéral devrait adopter des mesures sévères pour empêcher toutes sortes de communications entre une nation civilisée et des peuples sauvages qui, par leurs manières féroces, ne sont pas moins des barbares qui sont étrangers au système de la civilisation », a écrit Périgord. D’ailleurs, écrit-il, « ils ne menacent pas seulement la sécurité de la France, mais aussi celle de toutes les colonies européennes et de celles des États-Unis ».

Et ceci : « L’existence de nègres armés, souillant les lieux qu’ils occupent par leurs actes les plus criminels, est un horrible spectacle pour les nations blanches. » La campagne s’intensifie en 1825, lorsque, sur ordre du roi français, Charles X, une armada amarrée dans la baie de Port-au-Prince prête à réduire en cendres la capitale haïtienne si le président Jean-Pierre Boyer refuse de signer qu’Haïti doit 150 millions de francs à la France, l’équivalent d’environ 21 milliards de dollars en dollars d’aujourd’hui.

Cette dette visait des pertes immobilières, y compris des esclaves. Elle a finalement été achetée par un précurseur de Citibank. C’est à ce moment-là que les Américains ont envahi Haïti en 1915. La dette a finalement été payée en 1947. C’est ainsi que l’économie d’Haïti a été hypothéquée dès le début de son existence en tant que nation. Les Américains ont envahi après l’assassinat du président Sam, qui a été traîné de l’ambassade de France, où il a cherché refuge après avoir ordonné un massacre de prisonniers politiques.

Le président Sam a connu un sort pire que celui du président Moïse. Son corps a été coupé en morceaux et a défilé à travers la capitale. L’occupation américaine a duré 19 ans et, de façon générale, les Haïtiens ont été humiliés par les soldats américains, dont la majorité provenaient des États du Sud, où les Noirs étaient maintenus dans ce que les Sud considéraient comme « leur place ». Le rôle de l’Amérique en Haïti n’était pas joli à voir, même en incluant des événements relativement récents.

En 1994, le président Clinton a dépêché 20 000 soldats en Haïti pour ramener au pouvoir son président démocratiquement élu, Jean Bertrand Aristide. Aristide avait été renversé dans un coup, et a fui au Venezuela, mais finalement débarqué à Washington. Aristide a finalement obtenu l’Amérique pour soutenir son retour. Comme dividendes aux États-Unis, les riziculteurs de l’Arkansas ont gagné le marché haïtien, détruisant ainsi la production locale de riz.

Je soutiens que le sous-développement d’Haïti est dû, en premier lieu, à la France et aux autres puissances européennes, en accord avec les États-Unis. Ils étaient déterminés à faire de ce pays un exemple, surtout, du moins au cours des premières années, à décourager les révoltes des imitateurs par ceux qui étaient asservis dans cet hémisphère et ailleurs dans le monde, y compris en Afrique. Ils ont réussi, faisant d’Haïti l’État paria qu’il est aujourd’hui.

Non pas que cette tragédie soit sans complices haïtiens, traîtres qui ont embrassé la corruption pour leur profit personnel. Parmi les leaders haïtiens de ce genre, on retrouve François « Papa Doc » Duvalier et Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier, qui se sont fait passer pour des anticommunistes et ont précipité un exode des cerveaux de la nation pendant une dictature qui a duré 29 ans. Cela a aussi contribué à la situation dans laquelle se trouve Haïti aujourd’hui.

Pourtant, la révolution haïtienne a permis aux États-Unis de doubler leur territoire souverain. Cela s’est produit en 1803, lorsque les Français ont vendu le territoire de la Louisiane à la nouvelle nation américaine pour l’équivalent de 15 millions de dollars. Comparez cela avec ce que les Français ont imposé à Haïti comme réparations pour les biens perdus. La capitale française dans le Nouveau Monde était au Cap-Français, maintenant au Cap-Haïtien. Les Français sont allés jusqu’à amener les Américains à antidater au 30 avril l’achat de la Louisiane pour éviter de donner crédit à la révolte esclavagiste.

Malgré toutes les tentatives d’étouffer la révolution haïtienne, elle a attiré l’attention de Simon Bolivar. C’est d’Haïti qu’en avril 1816, Bolivar lance son expédition de libération, avec des hommes, des armes et de l’argent fournis par le président haïtien de l’époque, Alexandre Pétion. Quand Bolivar a proposé de reconnaître que la libération du Venezuela était due à Haïti, Pétion aurait dit : « Non, mais où que vous réussissiez, libérez les esclaves. »

Les liens entre le Venezuela et Haïti ont été historiques et forts pendant la majeure partie des années qui ont suivi — jusqu’en 2019, lorsque le président Moïse a tourné le dos à Nicolas Maduro et a embrassé le président Donald Trump dans la tentative de ce dernier d’isoler le tyran vénézuélien. qui a tourné le dos aux principes démocratiques et s’est aligné sur Cuba, la Chine, la Russie et même l’Iran. Et puis, les choses ont pris une autre tournure tragique.

Le 2 juin, le Président Moïse a reçu les lettres de créance du premier diplomate russe en Haïti, Sergey Melik-Bogdasarov. Le 17 juin, Moïse, accompagné de son épouse Martine et d’une importante délégation, s’est rendu à une conférence de deux jours en Turquie. Cela a fait basculer sa préférence idéologique et conduit l’Union européenne à s’éloigner de ses mesures antidémocratiques. Cela incluait le référendum pour se donner plus de pouvoir.

Et aussi pour l’absoudre, lui et ses proches, des torts commis pendant son mandat. Nous voici donc à la croisée des chemins dans un drame de plus de 200 ans que Shakespeare n’aurait pu imaginer. C’est un moment où Haïti est encore une fois confronté à un avenir incertain, avec des individus assoiffés de pouvoir qui se battent pour assumer légitimement le leadership du pays. C’est un moment où notre pays aspire à quelque chose de mieux que ce que l’histoire nous a apporté.

C’est un moment pour la société civile, les différentes branches du secteur politique, ainsi que les organisations religieuses de toutes allégeances d’organiser une conférence inclusive pour tracer la voie d’un gouvernement intérimaire pour préparer le terrain pour des élections démocratiques. Avant cela, Haïti aura besoin d’un plan pour faire face aux gangs lourdement armés qui ont imposé leur règne dans diverses parties du pays, y compris dans la capitale. La souveraineté du gouvernement doit être rétablie.

C’est alors seulement que l’attention peut se tourner vers un programme de travaux publics et un renouvellement de l’agriculture, et un programme de décentralisation pour faire du pays « La République d’Haïti » au lieu de « La République de Port-au-Prince ». La réparation à Haïti par la France pour les milliards qu’elle a forcés Haïti à payer pendant 122 ans contribuerait grandement à lever la malédiction et à arrêter le plongeon dans un « État en déroute ». Espérons qu’Haïti pourra reprendre son ancien surnom de « Perle des Antilles ».

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M. Joseph, ancien ambassadeur d’Haïti aux États-Unis, est un rédacteur en chef collaborateur du New York Sun. Image : Détail de « La bataille de Vertières en 1803 », illustration originale d’Auguste Raffet, gravure d’Hébert, sur Wikipédia.

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