Rôles de l’Église Catholique d’Haïti

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Rôles de l’Église Catholique d’Haïti

Le rôle de l’Église et sa position par rapport au changement deviennent de plus en plus essentiels dans l’actuelle période de balbutiement démocratique. Les crises sociales qui secouent notre pays nous obligent à explorer de nouvelles avenues, non seulement pour mieux les comprendre, mais aussi pour mieux répondre et agir face à celles-ci.

L’Église a toujours un rôle important d’inspiration à y jouer. De fait, elle peut aider à déterminer des voies politiques nouvelles. Pour Jacques Maritain, le christianisme ne peut se taire, «il doit rappeler son message de paix et d’amour avec d’autant plus de force que ce message semble davantage méconnu». (Jacques Maritain, Pour le bien commun, in Œuvres Complètes, Vol V, Éditions St Paul, Paris, 1982, 1026).

Sans verser dans un moralisme désuet et désincarné, extérieur au champ sociopolitique, l’Église a, entre autres, la noble tâche d’éduquer les consciences tout en se référant au système chrétien des valeurs: «Quand l’action politique est confrontée à des principes moraux qui n’admettent ni dérogation, ni exception, ni aucun compromis, l’engagement des catholiques devient plus évident et se fait lourd de responsabilités. Face à ces exigences éthiques fondamentales auxquelles on ne peut renoncer, les chrétiens doivent en effet savoir qu’est en jeu l’essence de l’ordre moral qui concerne le bien intégral de la personne». (Les Actes du St-Siège).

L’Église est témoin. Elle est appelée à continuer à jouer son rôle. Elle est donc invitée à donner un témoignage d’optimisme, qui se veut un rappel à tous les acteurs politiques, qu’un avenir plus prometteur est toujours possible pour le pays. Un avenir qui ne se fera pas seulement à coup de promesses électorales ou de changements de gouvernement, mais aussi en laissant se déployer, entre autres, les valeurs de solidarité, de justice, d’égalité devant la loi, de souci pour les plus pauvres, de respect de la personne humaine.

Présentement, on a plus de motifs d’inquiétude que de raisons à se réjouir. «Il nous faut, pour rebâtir notre pays, revenir aux valeurs du dialogue et de la tolérance, de la vérité et de la justice, du pardon et de la réconciliation, comme au respect des institutions», nous rappelle l’assemblée des évêques (Conférence Épiscopale d’Haiti, «Déposer les armes et rebâtir Haïti», in DC 2311 (2004) 340.

C’est un travail de longue haleine, les résultats ne seront pas obligatoirement immédiats. Il ne faudra pas non plus se décourager, même si c’est «le petit reste» pour répéter père Miguel Auguste, ou encore une minorité qui suive. D’ailleurs, le renouveau créateur s’amorce souvent dans les marges de la société. L’important c’est d’arrêter le tragique effritement de nos valeurs. Les Haïtiens ne sont pas imperméables au changement ou à l’amélioration.

L’Église espace de conscientisation. Malgré le désarroi réel de la majorité de la population en quête d’un mieux-être, Haïti est un pays en attente de changements profonds capables d’engendrer un nouvel avenir. L’Église constitue un espace de conscientisation et un lieu de bouillonnement d’idées. Elle peut se placer en première ligne dans la mise en œuvre des solidarités. Elle est appelée à maintenir sa crédibilité et son leadership éthique auprès du peuple meurtri par la pauvreté et victime de la corruption.

L’Eglise est continuellement encouragée à mobiliser les réserves morales de la société pour parler ouvertement, et dénoncer les maux qui la ravagent, tels la corruption, l’impunité, les mensonges patents, qui sont perçus au quotidien dans les relations interpersonnelles. Le pays est en morceaux et dévitalisé. Le désenchantement entraine malheureusement l’image désenchantée de l’homme haïtien. D’où cet urgent besoin de penseurs et d’agents de changement sociopolitique capables d’articuler et de travailler à des changements d’importance.

«Consciente de la dignité humaine, l’Église réitère son engagement à servir l’homme haïtien, les pauvres et toute personne, conformément à la Parole de Dieu et à son propre enseignement social. Elle s’attèle à édifier une société et une civilisation de paix et d’amour ayant «la vérité comme fondement des relations humaines, la justice comme règle, l’amour mutuel comme moteur et la liberté comme climat» comme le disait le bienheureux Pape Jean XXIII, dans son encyclique Pacem in terris.

Ces quatre exigences fondamentales doivent imprégner nos comportements personnels et nos engagements collectifs: d’être présent dans les institutions de la société, de promouvoir le bien commun, d’exercer du dedans une influence sur les structures». (Conférence des Évêques de France, L’Église d’Haïti a besoin de l’Église de France, in DC 2324).

Lieu de promotion de la dignité de la personne. L’Église est conviée à promouvoir la dignité de la personne à travers le respect des différents traits culturels, la concorde, le pluralisme idéologique. C’est une vision de civilisation moderne qu’elle doit aider à instaurer en Haïti. Ce qui implique un engagement courageux de sa part aux côtés de chaque homme et femme, avec les ressources de la raison, au prix d’un effort d’intelligence, par la formation de la conscience et par une politique délibérée fondée sur la justice, la paix, la solidarité. «L’Église a conscience que si, d’une part, le chemin de la démocratie exprime au mieux la participation directe des citoyens aux choix politiques, d’autre part, il n’est possible que dans la mesure où il est fondé sur une juste conception de la personne […]. C’est d’ailleurs le respect de la personne qui rend possible la participation démocratique». (Les Actes du St-Siège)

Vecteur de justice. L’Église a la responsabilité de dénoncer les inégalités et les injustices subies par les pauvres. Elle ne peut pas renoncer à son rôle prophétique et se complaire dans un certain «concubinage» avec les hommes au pouvoir ou avec l’opposition. Ce serait une trahison à sa mission, et à l’esprit de l’Évangile. Elle a, en outre, la tâche essentielle de continuer à construire la fraternité dans un pays ou l’État est trop souvent absent, où l’élite au pouvoir ne se soucie habituellement que d’elle-même. C’est aussi une façon d’inspirer l’action de l’État. Car en Haïti depuis un certain temps, l’État a failli.

L’État est l’un des principaux problèmes du pays. Certains vont même plus loin en le considérant tout à fait amorphe, quasi inexistant. Toutefois, sa refondation et sa consolidation sont essentielles à l’établissement de la démocratie. L’Église pourrait contribuer à son renforcement, à l’aider à retrouver ses points de repères, à refaire son autorité. Cependant, elle ne doit jamais envisager de se mettre à sa place: «Ce n’est pas le rôle propre de l’Église de prendre en charge le combat politique pour réaliser la société la plus juste possible; toutefois, elle ne peut et ne doit pas non plus rester à l’écart de la lutte pour la justice. L’Église doit s’insérer en elle par la voie de l’argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles, sans lesquelles la justice, qui requiert toujours aussi des renoncements, ne peut s’affirmer ni se développer». (Benoit XVI, Deus caritas est, in AAS 98 (2006)

Partenaire de l’État. L’Église a de plus en plus un rôle de partenariat à assumer. Selon sa Doctrine Sociale, elle est pour l’État un partenaire social crédible. Sa contribution dans le domaine de l’éducation est immense. Elle doit continuer à prêter main forte dans ce secteur et même penser à l’étendre aux niveaux universitaire, technologique et scientifique, en investissant encore plus dans la formation professionnelle des jeunes, et dans l’éducation supérieure.

Selon Benoit XVI: «Les écoles catholiques, malgré leurs faibles moyens, jouent un rôle important en Haïti […]. À travers l’enseignement, c’est la formation et la maturation des personnalités qui se réalisent, par la reconnaissance des valeurs essentielles et par la pratique des vertus; c’est aussi une conception de l’homme et de la société qui se transmet». (Benoit XVI, «Les choses ont-elles changé en Haïti? Discours aux Évêques Haïtiens en visite Ad Limina», in DC 2401 (2008) 408). En ce sens, l’Église lutte à sa façon pour que la démocratie trouve les ressourcements nécessaires à sa vitalité.

Un rôle d’équilibre. L’Église, représente pour l’État, à bien des égards, une soupape de sécurité active et indispensable dans la construction démocratique, sans jamais omettre son rôle d’équilibre. «Si nous voulons la paix, nous devons travailler pour la justice, promouvoir l’État de droit. La démocratie doit devenir l’une des routes principales sur lesquelles l’Église chemine avec le peuple. L’éducation au bien commun ainsi qu’au respect du pluralisme sera l’une des tâches pastorales prioritaires en notre temps. Le laïc chrétien engagé dans les luttes démocratiques selon l’esprit de l’Évangile, est le signe d’une Église qui se veut présente à la construction d’un État de droit». (Les Évêques catholiques en synode sur l’Afrique, «Exhortation Apostolique Post-synodale. Ecclesia in Africa», in DC 2123 (1995) 825.

Bref, l’influence de l’Église est indispensable dans divers domaines tels: l’éducation, la santé, la formation morale de la mentalité des gens. Disons avec Jacques Maritain, il y a dans le message évangélique des implications politiques et sociales qui doivent à tout prix se déployer dans l’histoire. Toutefois, pour essentielle que soit son aide, l’Église est incapable d’entraîner à elle seule la réforme en profondeur nécessaire à la société haïtienne.

C’est en collaboration avec les autres entités sociales que son action donnera sa pleine efficacité dans le travail de consolidation de la démocratie. Non à une solidarité sur papier et dans des discours creux, faisons place à un travail d’ensemble. Haïti est un grand chantier collectif qui s’impose à tous. Des actions coordonnées et structurantes sont désormais nécessaires pour le faire sortir de son inertie. Un autre Haïti est possible. Notre pauvreté n’est pas inéluctable. On a néanmoins besoin de gestes politiques courageux et réalisables.

Aussi, je propose à l’Église de développer une attitude réaliste, c’est-à-dire d’essayer de s’engager dans des actions qui sont à sa portée, avec des répercussions visibles sur la majorité pauvre et un impact perceptible sur la mentalité des gens. Le chemin est long et tortueux, mais il faut s’armer de courage et faire les premiers pas. Et ainsi s’engager tous ensemble dans une longue marche solidaire ver une Haïti plus juste et moins pauvre.

Wedner Bérard, Omi Dr en Éthique
24 Avril 2021

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