Etats-Unis : la ville d’Asheville vote une résolution pour engager des « réparations » de l’esclavage

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Si la question du dédommagement des descendants d’esclaves est posée depuis plusieurs décennies dans le pays, les mesures comme celles annoncées par la ville de Caroline du Nord restent exceptionnelles.

Publié hier à 19h12, mis à jour hier à 20h12

La décision prise par le conseil municipal d’Asheville, mardi 14 juillet, est historique : à l’unanimité, les sept élus de cette commune de Caroline du Nord de 83 000 habitants ont adopté une résolution demandant la mise en place de mesures de « réparations » économiques des inégalités causées par l’esclavage dans la communauté noire de la ville.

La municipalité a présenté ses excuses pour sa participation dans la traite de ses habitants noirs, puis dans l’application des règles de ségrégations raciales, pour certaines en vigueur aux Etats-Unis jusqu’en 1965. Avant de demander aux services de leur administration de tout faire pour « favoriser la création de richesse sur plusieurs générations, la mobilité sociale et les opportunités des membres de la communauté noire », et apporter une réponse au « racisme systémique qui s’est développé pendant des siècles et dont le démantèlement prendra du temps ».

Une réaction aux manifestations contre le racisme

Près de deux mois après la mort de George Floyd, lors de son interpellation par la police à Minneapolis (Minnesota), l’annonce d’Asheville marque le passage symbolique d’une nouvelle étape dans les réponses apportées par les autorités et collectivités américaines aux manifestations contre le racisme et les violences policières.

D’autres communes ont annoncé le lancement de réformes de leurs services de police, ou retiré de l’espace public des symboles de la répression de la minorité noire dans l’histoire du pays. Mais encourager à une « réparation » des dommages causés par l’esclavage par des dispositifs d’indemnisation financière directe ou par des mesures d’aides visant spécifiquement la communauté noire restait, jusqu’à la décision d’Asheville, de l’ordre de l’interrogation chez les responsables politiques nationaux.

« Il n’est tout simplement pas suffisant de déplacer des statues, a déclaré Keith Young, l’un des sept élus du conseil municipal (composé de deux Noirs et cinq Blancs), au moment de voter la résolutionLes Noirs de ce pays font face à des problèmes qui sont systémiques par essence. » Outre la mise en place d’une commission de la réparation dans la ville, le conseil fait aussi appel, dans son texte, à des initiatives de la part des Etats et de l’administration fédérale.

Une « petite étincelle qui ouvrira un débat »

« J’espère que nous serons, peut-être, une petite étincelle qui ouvrira un débat pas seulement dans la ville ou en Caroline du Nord, mais partout dans le pays », s’est enthousiasmée la première adjointe au maire, Gwen Wisler. Le 15 juillet, le maire de la ville de Providence, dans l’Etat de Rhode Island, a publié un décret pour initier un « processus de vérité et de réparations », sans aller aussi loin que les élus d’Asheville. En Californie, la chambre basse du Parlement de l’Etat a approuvé la création d’une commission consacrée à « concevoir des propositions de réparation pour les Africains-Américains ».

Dans le texte de résolution, les élus d’Asheville mentionnent, à plusieurs reprises, la question du logement pour souligner que la plus grande pauvreté, en moyenne, des familles noires aux Etats-Unis est la conséquence directe d’une privation de richesse de leurs ancêtres – qu’une égalité devant la loi ne suffirait pas à compenser.

Les « Noirs ont été rejetés du marché de l’immobilier par des pratiques racistes », estiment-ils, de la part du secteur public et du secteur privé. La marginalisation des quartiers où vivent les Noirs dans les programmes de développement urbain, écrivent-ils, a toujours des conséquences sur les conditions de vie actuelles des communautés afro-américaines.

« La pauvreté des Noirs n’est pas la pauvreté des Blancs »

Dès son vote à l’unanimité, la résolution a reçu des critiques concernant la portée des mesures annoncées. « Des réparations parcellaires, prises à ce niveau de gouvernement, ne peuvent couvrir l’ensemble de la dette de l’injustice raciale », a considéré le professeur de droit de l’université de Duke, William A. Darity Jr. dans le New York Times, qui estime à 10 ou 12 millions de millions de dollars le montant de cette injustice (ce qui équivaut à trois ou quatre fois les dépenses totales des collectivités locales et nationales aux Etats-Unis, selon le quotidien américain).

Dans un long texte de la journaliste Nikole Hannah-Jones, publié dans son magazine au début du mois de juin et intitulé « Ce qui est dû », le New York Times revenait déjà sur la question de la « réparation » auprès des descendants d’esclaves. En citant, entre autres, un célèbre citoyen américain pour montrer que la question est évoquée depuis plusieurs décennies : le président Lyndon B. Johnson. Il déclarait, en 1965 :

« La pauvreté des Noirs n’est pas la pauvreté des Blancs. Ces différences ne sont pas des différences raciales. Elles sont simplement et seulement la conséquence d’une ancienne brutalité (…), mais nous devons y faire face, et elles doivent être dépassées, si nous voulons un jour vivre dans une époque ou l’unique différence entre les Noirs et les Blans est la couleur de leur peau. »

Source: https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/17/etats-unis-la-ville-d-asheville-vote-une-resolution-pour-engager-des-reparations-de-l-esclavage_6046559_3210.html

Photo: BRENDA BENIK/AP

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