L’impérialisme occidental en guerre non déclarée contre la Russie

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par Mohamed El Bachir.

« Les conséquences d’un acte sont incluses dans l’acte lui-même » (George Orwell, 1984)

Boutcha : crime de guerre ou macabre mise en scène ?

Poser la question ne signifie pas nier la véracité d’un tel fait et ne sous-entend pas être pro-russe. Autrement dit, on ne peux pas prendre argent comptant les informations et les affirmations provenant des responsables politiques et  des médias occidentaux. Pour une raison simple : démocratique n’est pas synonyme de véridique. Ceci d’autant plus que les exemples de mise en scène pour incriminer un chef d’État ne manquent pas.

Un exemple. En décembre 1989 sous la présidence du président roumain Nicolas Ceausescu, une vingtaine de corps de personnes mortes avant le début des soulèvements ont été photographiés et filmés dans le cimetière de Timisoara par les médias internationaux. Sur la base de fausses informations les corps ont été exposés comme des victimes des forces de sécurité roumaine. En France, cet incident a été interprété comme le résultat d’une campagne de désinformation et de manipulation des médias. Rappeler cela ne signifie nullement absoudre le dictateur roumain.

Quant à l’actualité, le clergé intellectuel des États occidentaux, relayé quotidiennement par les médias, fait un parallèle entre le crime de Boutcha en Ukraine et l’attaque chimique de la Goutha (2013), banlieue de Damas, attribuée au gouvernement syrien. Pourtant concernant la Goutha, le sénateur républicain, l’américain Ron Paul a déjà répondu : « une mise en scène fabriquée de toute pièce ». Et d’ajouter pour expliquer les tenants et aboutissants de la mise en scène : « avant l’attaque chimique tout se passait bien et le président D.Trump disait que c’est au peuple syrien de décider lui-même qui dirigera le pays… Je crois que certains n’ont pas apprécié cela et il fallait qu’il se passe quelque chose »1.

L’ancien ambassadeur français en Syrie, Michel Rimbaud, appuie, à sa manière les propos du Sénateur en écrivant dans Tempête sur le Grand Moyen-Orient2 : « une mission d’inspection est sur place à la demande du gouvernement de Damas suite à plusieurs « alerte chimique » en cours d’année… Le bon sens amène à écarter l’hypothèse qu’elle puisse être le fait du pouvoir : comment pourrait-il l’avoir perpétrée au moment même où les inspecteurs onusiens sont là ? » page 532-533.

… D’autres exemples ?… Palestine, Irak… Libye… Mais là, point de crime de guerre puisque c’est l’œuvre de l’Axe du Bien. Détruire… Morceler, l’idéologue néo-conservateur Karl Rove résume cette stratégie en des termes simples : « nous américains, nous sommes un Empire… Nous sommes les acteurs et les producteurs de l’Histoire ». Et il ajoute : « à vous tous, ils ne vous reste qu’à étudier ce que nous créons »3.

Des propos qui invitent, au delà, de la dénonciation de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, à poser la question essentielle :

Quels sont les enjeux stratégiques de la Russie dans son étranger proche : l’Eurasie ?

L’échiquier eurasien et le pivot géopolitique ukrainien

Depuis 2013, plusieurs phénomènes – et en  particulier, la dégradation brutale des relations de Moscou avec l’Occident sur fond de crise ukrainienne – ont incité la Russie à  renforcer le « pivot » eurasiatique de sa politique étrangère. En particulier, la Russie et la Chine ont développé et sur le plan économique et sur le plan militaire leurs coopérations à travers l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Organisation dont l’Iran est devenu  membre à part entière en 2021. Rejoignant le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, l’Inde, le Pakistan et la Turquie.

Cet espace géographique est un espace géostratégique d’une importance capitale. C’est la route de la soie du XXIe siècle.

Aussi, la question géostratégique qui se pose aux États-Unis en tant que puissance mondiale est le suivant : comment prévenir l’émergence d’une puissance eurasienne qui s’opposerait à la suprématie impérialiste américaine ?

En effet, pour l’ancien conseiller du président J.Carter, Z. Brzezinski : « la façon dont les États-Unis gèrent l’Eurasie est d’une importance cruciale. Toute puissance qui le contrôle, contrôle par là même deux des trois régions les plus développées et les plus productives »4.

Afin d’appuyer son propos, Z. Brzezinski cite le géopoliticien Halford J. Mackinder :

« Qui gouverne l’Europe de l’Est domine le heartland (Europe centrale) ;

qui gouverne le heartland domine l’île-monde ;

qui domine l’île-monde domine le monde »[4].

C’est pour cela que l’Ukraine est un important pivot géopolitique reliant l’Europe occidentale et l’Eurasie. C’est à dire un point stratégique pour les États-Unis. Et en perdant le contrôle de l’Ukraine, le rôle géostratégique de la Russie s’en trouverait affaibli. Et pour cause : « les trois quarts des ressources énergétiques connues y sont concentrées… L’Eurasie demeure, en conséquence, l’échiquier sur lequel se déroule le combat pour la primauté globale… Les conséquences géostratégiques de cette situation pour les États-unis sont claires : l’Amérique est bien trop éloignée pour occuper une position dominante dans cette partie de l’Eurasie, mais trop puissante pour ne pas s’y engager… Les États qui méritent tous les soutiens possibles de la part des États-Unis sont l’Azerbaïdjan, l’Ouzbèkistan et l’Ukraine car ce sont tous les trois des pivots géopolitiques »[4].

En 2015, l’ancien ambassadeur français en Syrie, Michel Rimbaud, dans son livre « Tempête sur le Grand Moyen-Orient », avertissait  déjà que cette volonté de domination états-unienne est porteuse d’un danger à l’échelle mondiale. Concernant l’Ukraine, son avertissement est sans ambiguïté : « quand s’ouvrira en Ukraine un débat sur l’éventualité d’une double adhésion aux deux organisations – OTAN et UE – une ligne rouge aura été franchie. Il y a donc une volonté délibérée de frapper la Russie au cœur de son domaine historique, russe et slave »5.

L’OTAN en guerre en Ukraine

Partant de l’évidence suivante : les mesures de rétorsion économiques et financières de l’Union européenne et des États-Unis contre la Russie et le soutien militaire apporté à l’armée  ukrainienne par l’OTAN et l’UE font de ces derniers des belligérants. Et nul besoin de souligner que la position politique du « en même temps » du président français et de l’UE traduit cet état de fait. Une main tenant le téléphone et l’autre donnant des armes. Ce qui nous amène à la question essentielle : mettre fin à la guerre en Ukraine pour protéger la population ukrainienne est-il le véritable but de ces belligérants ?

En tenant compte des enjeux stratégiques rappelés dans le paragraphe précédent, la réponse est : non. Et en livrant des armes à Taïwan où Nancy Pelosi projette de s’y rendre en tant que présidente de la Chambre des États-Unis, l’impérialisme américain ouvre un nouveau front. Ainsi, une autre ligne rouge risque d’être franchie par les États-Unis étant donné que pour l’État Chinois, Taïwan fait partie intégrante de la Chine. Une telle stratégie occidentale renforcera l’alliance économique et militaire existante entre la Russie, la Chine et l’Iran. C’est ce que le président chinois Xi Jinping veut signifier en déclarant que : « l’évolution actuelle de la situation internationale a une fois de plus démontré que la sécurité régionale ne peut être garantie par le renforcement des alliances militaires ».

La guerre en Ukraine est-elle annonciatrice de nouvelles confrontations militaires pour la maîtrise de la route de la soie du XXIe siècle ?

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